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« Sale Menteuse » de John Waters : vive la littérature « feel bad » !

  • Écrit par : Serge Bressan

watersPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Il a l’art de la formule : « Tous veulent être des outsiders, alors je suis devenu un insider ! »

Il est aussi un maître de la provocation : « Une fois qu’il y a eu « Avatar », un pénis qui parle, c’est rien ! » ou encore : « Trump est mauvais et bête sans même être drôle ». A 77 ans, né à Baltimore (Maryland), l’Américain John Waters balade toujours une très fine moustache noire au-dessus de la lèvre supérieure- c’est sa marque de fabrique !, et entretient à la perfection sa réputation de dandy trash. Loufoque et chic, il s’autorise tout, même l’inconcevable, l’inimaginable ; s’inspirant d’Alphonse Allais, il applique comme viatique la formule « passé les bornes, il n’y a plus de limites ». Au cinéma ou sur scène, rien ne lui résiste, la bienséance il ne connaît pas. Et le voilà qui se glisse, en ce printemps, dans les rayons des librairies. Avec un premier roman, « Sale Menteuse ». Sous-titre : « Une romance feel-bad ». Certain.e.s pratiquent la littérature « feel good », une littérature censée faire du bien- John Waters tord le cou à ce genre, et embarque lecteurs et lectrices dans un texte qui « fait du mal » ! C’est bien là ce que l’on puisse attendre d’un tel individu…

Interrogé sur les raisons qui l’ont amené à choisir la forme romanesque après avoir écrit quelques essais (dont l’inénarrable « Monsieur Je-Sais-Tout », paru en VF en 2021), le réalisateur de « Pink Flamingos », « Polyester » ou encore « Cecil B. Demented » s’est expliqué : « J’aime me lancer des défis. A 66 ans, j’ai traversé toute l’Amérique en auto-stop pour écrire un livre, « Carsick ». À 70 ans, j’ai repris du LSD pour voir ce que ça donnait- ce que j’ai raconté dans mon bouquin « Monsieur Je-Sais-Tout ». Là, je me suis dit : « Osons, essayons d’écrire un roman ». J’ai imaginé un million de fictions pour mes films…Mais je n’avais jamais commencé de roman. J’avais cette idée qui me venait de loin pour un film éventuel, celle d’une femme qui vole des valises dans les aéroports. Je l’ai reprise pour en faire quelque chose de complètement différent, c’est « Sale Menteuse » ! » Résumé, ça donne une menteuse invétérée. Elle s’appelle Marsha Sprinkle, voleuse pathologique et arnaqueuse de génie, elle ne compte plus ses ennemis. John Waters : « Marsha n’est pas sympa. Elle ne sollicite pas votre amitié mais votre intérêt amusé pour ce qu’elle traverse ». Quelques-uns ont décidé de lui régler son compte et lui faire bouffer tous ses mensonges. Parmi ces individus, on trouve « sa mère et sa fille, son ex-complice lubrique Daryl et une sautillante bande d’hurluberlus, fétichistes du trampoline, tous lancés à ses trousses dans une rocambolesque et décadente course-poursuite à travers le Nord-Est des Etats-Unis. Mais Marsha est intelligente, incroyablement fourbe et celui qui l’attrapera n’est pas encore né ! », nous assure son éditeur français.

« Sale Menteuse », c’est le livre le plus délirant, le plus déjanté du moment. C’est aussi le (très) mauvais goût érigé en art ultime… Comme Joséphine, John Waters ose- il fait hennir les chevaux du plaisir, souhaitant que ne durent que les moments doux. Et à l’arrière des berlines en compagnie du dandy trash, on est servi. Grand fabricant d’OLNI (Objet Littéraire Non Identifié), l’Américain icône queer peint comme personne une mytho sadique poursuivie par une bande de désaxés. C’est le grand délire, déjanté à souhait, délicatement érotico-scato… Ça secoue à tous les étages, l’écriture est vive, hilarante, allumée. Longtemps après avoir refermé le livre, on est encore en compagnie de Marsha Sprinkle, cette femme approchant la quarantaine, s’adonnant à un hobby comme un autre (du moins, selon John Waters) qui consiste à voler des bagages sur les tapis roulants dans les aéroports, ne se nourrissant que de deux crackers par jour ! Jamais très loin, il y a aussi Daryl, c’est le chauffeur de la dame- son salaire : la promesse d’une copulation une fois par an avec sa patronne. Et aussi Poppy, fille de Marsha- la gamine règne sur une secte d’adeptes du trampoline… Et puis, Richard le pénis qui parle et devient gay alors que son propriétaire, Daryl, est hétéro- John Waters dit faire référence à « Le Sexe qui parle », un film porno français complètement loufoque sorti en 1975 dans lequel un vagin vocalise ! Dans cette aventure, le romancier pétillant évoque les plaisirs bondissants, la masturbation auriculaire ou encore l'anulingus consacré par un festival…
Marqué à vie par les lectures de Jean Genet, Tennessee Williams, William Burroughs ou encore Marguerite Duras, commentant « Sale Menteuse », le pape du trash a confié : « Je n’attends pas d’un livre qu’il me réconforte mais plutôt qu’il me dérange ». Une définition de la littérature « feel bad » par un artiste qui, après près de vingt ans sans tourner le moindre film, s’est lancé dans l’adaptation de « Sale Menteuse » pour le grand écran… Encore quelques mots du dandy trash : « Le monde est plein de gens bizarres qui ne vous ressemblent pas, et si j’étais vous, je trouverais ça génial ! » Et c’est ainsi que John Waters est grand…

Sale Menteuse
Auteur : John Waters
Traduction : Laure Manceau
Editions : Gaïa
Parution : 3 mai 2023
Prix : 22,80 €

[bt_quote style="default" width="0"]Marsha déteste tout ce qui est vieux. Les antiquités. Le vintage. Les objets de collection. Elle trouive que c’est sale. Souillé par les fluides des autres- larmes d’enfants, sperme indésirable, mucosités diverses et même nourriture intruse. Ça ne sent rien, ici. Les odeurs s’immiscent, menacent sa suprématie, la déconcentrent. Elle n’a jamais utilisé de déodorant de toute sa vie. A quoi bonbon ? Ses aisselles ne sentent rien. Rien du tout. Les murs sont nus. On les a repeints récemment- elle le sait car il n’y a aucune trace autour des œuvres d’art qu’elle s’est empressée de décrocher. Comment un peintre minable peut-il s’imaginer rivaliser avec la perfection à laquelle elle travaille, la réduire à néant ?  [/bt_quote]

 


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