Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Vous aimez les « polars » de l’italo-sicilien Andrea Camilleri, dont le commissaire Montalbano, est un clin d’œil à l’auteur catalan Manuel Vazquez Montalban ?

Mais aussi les romans noirs nonchalants du cubain Léonardo Padura, comme ceux du marseillais Jean-Claude Izzo. En d’autres termes, vous aimez la bonne bouffe, boire des coups de temps à autre et l’humour façon Donald Westlake. Les sempiternelles histoires de serial-killers vous laissent froid. Les enquêtes du détective tahitien Al Dorsey sont faites pour vous.

Non seulement ça se passe en Polynésie (à Papeete, en l’occurrence), où habite Patrice Guirao (71 ans) depuis plus d’un demi-siècle. Dans ce sixième opus, « Quand on s’aime » - peut-être le plus léger de sa série, commencée il y a dix ans -, son anti-héros rigolo enchaine les péripéties croquignolesques, sans perdre son sang-froid. En plus de ses problèmes personnels (une visite de routine, de sa femme, chez un obstétricien qui tourne au délire), il va devoir gérer les divagations d’une bande de singes indélicats et se lancer dans la traque de trafiquants de stupéfiants dont le projet est d’inonder les îles de fentanyl, la nouvelle drogue qui fait des ravages dans le monde. Sa journée promet d’être longue, mais qu’est-ce qu’on se marre.

Né à Mascara, en Algérie, Patrice Guirao est lui-même un drôle d’asticot. Après une carrière comme aiguilleur du ciel, il se lance dans l’écriture et devient parolier, pour des comédies musicales populaires (Les Dix commandements, Cléopâtre, Le Roi Soleil, Mozart, Robin des Bois…) mais également pour des chanteurs de renom, tels Johnny, Florent Pagny, Calogero, Sacha Distel, Placido Domingo, Céline Dion, Jane Birkin, Mireille Mathieu, Obispo… j’en passe et des meilleurs). Récemment, il s’est distingué avec un beau roman de littérature dite « générale », la « Blanche », quoi) biographique : « Trois noyaux d’abricots » (2025, « Au vent des îles »), remarqué, entre autres, par le libraire et chroniqueur Gérard Collard, de La Griffe Noire. L'ombre de la guerre d’Algérie s’y dessine en toile de fond, charriant son cortège d'horreurs et d'absurdités. Prénommé Sauveur, un fils de pied-noir y évoque des copains d’enfance, la mort naturelle du « pépé », un poème de Garcia Lorca, des « tontons » héroïques, les noyaux d'abricot et une casquette bien chaude. Accroché à son innocence, il grapille tout le bonheur qu'il peut dans ses souvenirs des jours heureux. Mais était-ce vraiment le bonheur ? Était-il témoin ou bien l'acteur d’une tragédie ? Est-ce ainsi que les enfants de la guerre grandissent, comme à Gaza aujourd’hui, et au Soudan, et en Ukraine, et ailleurs, depuis toujours, avec la mort aux trousses?

On comprend qu’il ait eu envie de paix et de repos dans les îles du sud où, c’est bien connu, le paradis mythique cache parfois l’enfer. C’est ce que Guirao explore dans sa série « Lilith » (démon féminin de la tradition juive, première épouse d’Adam, mais trop libre et émancipée, déjà…). Dans cette saga, publiée chez Robert Laffont, il y raconte les aventures de Lilith Trereia, dont le premier volume, « Le Bûcher de Mooréa », est sorti en 2019. Le deuxième, « Les Disparus de Pukatapus », en 2020.

Aidé de Maema, journaliste à la Dépêche, le quotidien de Tahiti, la jeune photographe s'attaque aux injustices et aux notables corrompus de Tahiti. Comme ce jour où, dans la région de Moorea, elle tourne son appareil vers un brasier. Devant son objectif, des bras, des jambes, des troncs se consument. Et, au sommet du bûcher, quatre têtes. Pour quels dieux peut-on faire aujourd'hui de tels sacrifices ? Les deux vahinés découvriront bientôt le mal, la folie, et croiseront le chemin d'un homme venu de métropole chercher une autre vie à Tahiti. Un homme qui tutoie la mort. Cet épisode est raconté dans « Rivage obscur » (2022), un des volets de la trilogie noir azur de Patrice Guirao. Il y raconte l’envers de la carte postale. Les favelas en pleine nature. L’alcoolisme, la malbouffe et le désœuvrement du au chômage et à la pauvreté. Dans les bas-fonds de la misère sociale polynésienne, se cache un trafic de médicaments pour la fabrication de drogue.

En 2000, il a aussi écrit un livre pour enfants, illustré par sa fille, Sydélia Guirao (1977), intitulé « Tamariata, l'enfant nuage ». loin de se la couler douce, dans les îles sous le vent, cet homme est une machine (humaine) à écrire. Sa série de romans noirs (et humoristiques) « Al Dorsey » est une bonne manière de le découvrir (mieux vaut tard que jamais…) en douceur. Composée six tomes, elle comprend : « Crois-le ! » (2009), « Lyao-Ly » (2011), « Si tu nous regardes » (2012), « Tu vois » (2017), « Rien n’est perdu » (2022), et « Quand on s’aime » (2025). Tous publiés par l’éditeur tahitien Au Vent des îles. Elle fait l'objet d'une adaptation par France Télévisions avec Alban Casterman dans le rôle principal d'Al Dorsey.

Quand on s’aime
Editions: Au Vent des îles.
Auteur : Patrice Guirao
276 pages
Prix : 19 €