Matthieu Penchinat : "Il y a, pour moi, quelque chose de salvateur dans le rire."
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ De l'informatique au clown il y a un vaste monde que Matthieu Penchinat a franchi avec enthousiasme et passion. Après une expérience d'improvisation théâtrale, une formation de trois ans à l'Ecole Nationale Supérieure d'Art Dramatique montpelliéraine sous la direction d'Ariel Garcia Valdès, commence l'aventure professionnelle.
D'abord la création de la Compagnie Auguste Singe avec laquelle il crée des solos de clowns, une mise en scène de Georges Dandin puis de Don Quichotte. En parallèle de ces recherches autour du clown, il devient un délicieux M. de Pourceaugnac sous la direction de Sébastien Lagord puis un M.Loyal drôle et pétillant dans Panorama de Philippe Découflé...un peu de télévision, quelques sketchs par-ci par-là jusqu'à la création de son premier one-man-show "Tout seul, comme un grand". On y cause de la mort, de notre comportement face à cette dernière, de la manière dont on la gère quand elle frappe à votre porte mais aussi de la manière, peut-être, de la contrer un peu en évitant les regrets vis à vis de ceux qu'on aime. Du protestant, " le catholique en sépia" ,au spiritisme version SMS, du vendeur de Pompe Fun et ses conseils pour choisir le bon bois, aux bouddhistes zens aux multiples vies, une élucubration drôlatique où l'on n'échappe à rien, pas même au velociraptor menaçant Avignon en festival...On l'écoute!
Quelle a été la genèse de ce seul-en-scène? L'envie de s'essayer à une nouvelle forme de théâtre? De partager un lien de proximité avec le public? Une réelle envie de parler de la mort?
C'est un projet auquel je pense depuis dix ans. Ado, je rêvais de faire un one-man-show. Vers 21 ans, je commence à faire du théâtre et à écrire quelques sketchs... et je me rends compte que tous ont un lien avec la mort... Un sauveteur qui ne sauve personne, un conducteur de corbillard... Germe très vite l'idée qu'un jour, je ferai un one-man-show et qu'il parlera de la mort. Il m'aura fallu 8 ans au cours desquels je me suis formé et aguerri avant de me lancer dans l'écriture. Puis encore 2 ans avant de faire aboutir ce projet. Pendant longtemps, j'ai expérimenté plein de choses (clown, danse, conte, mise en scène...). Avec ce spectacle, je trouve une forme qui me permet d'expérimenter ma propre singularité. Il y a quelque chose de fondateur dans mon parcours d'artiste dans ce spectacle.
Et brièvement, sur le sujet de la mort, deux choses sont motrices. La première, ce sont les angoisses et questionnements que j'ai à ce sujet, depuis toujours. Une mère infirmière en soin palliatif, un grand-père pasteur : il y a peut être aussi comme un atavisme ! La seconde, c'est que j'aime faire rire à partir de choses qui ne sont pas drôles. Il y a, pour moi, quelque chose de salvateur dans le rire.
Rire de la mort n'est pas un concept tout à fait nouveau...pourtant force est de constater que cela fait toujours grincer des dents...Espérez-vous faire rire de bon coeur ou, forcément, le rire attendu est plutôt un rire "jaune"?
Un rire de bon coeur ! Il est important pour moi que les gens rient volontiers. C'est ce que je cherche pendant le spectacle. J'espère que les gens sont touchés, et même qu'ils réfléchissent à la question, mais après le spectacle. Mon modèle, en la matière, c'est Chaplin. Le dictateur, par exemple, est un modèle du genre. On rit de bon coeur. Puis, dans un second temps, on prend conscience de la force de son propos. Malgré le thème, il y a très peu d'humour noir dans le spectacle. Je n'aime pas faire "grincer des dents". Je reste avant tout un clown qui cherche à faire rire avec des petites conneries. Si en plus, mises bout à bout, elles racontent une histoire...
La meilleure source d'inspiration d'un seul-en-scène c'est soi-même? Quelles ont été vos sources d'inspiration?
Soi-même, pour le ressenti. Les autres pour comprendre le ressenti. Par exemple, j'ai tout un passage sur les protestants. C'est un ressenti personnel qui m'a donné l'idée de départ. Puis une observation des actions. Chris Rock (grand comique américain) a pour devise d'écriture : "Parle de ce qu'ils font et pas de ce qu'ils sont." Je pars donc d'une intuition, puis j'observe les gens concernés...
Avez-vous des mentors en la matière, des performers du seul-en-scène qui vous inspirent?
Ado, j'étais absolument fan de Benoit Poelvoorde, Edouard Baer et Albert Dupontel. Ce sont mes trois premières grandes sources d'inspiration. Vint ensuite François Rollin, François Morel et les Deschiens, puis Buster Keaton, Charlie Chaplin et Harold Lloyd...J'aime les clowns, les gens qui utilisent le rire comme moyen et non comme but.
Quel est le secret d'un bon seul-en-scène selon vous? Quels sont les ingrédients indispensables? Les écueils à éviter?
Alors ça...J'ai l'impression que c'est une histoire d'équilibre. L'écueil, c'est peut-être de vouloir faire comme d'autres. Il faut trouver sa singularité et la cultiver. Et puis, il faut travailler. Préciser sans fin son travail, son écriture, son jeu, son corps... Rester ouvert tout en s'affirmant. C'est un peu vague comme réponse. Mais s'il y avait vraiment une recette... Pour mon cas personnel, j'essaye de ne pas être trop complaisant avec moi-même. C'est un défaut que je peux avoir, je suis donc vigilant là-dessus.
Je cite des phrases du spectacle : "Sans la Mort, on s'emmerderait." "Se mettre la mort sous le nez pour se rappeler de vivre pleinement"....Ce spectacle est au final un hommage à la mort sans la menace de laquelle la vie perdrait toute sa saveur...une morale tristement d'actualité, non? Mieux vaut en rire qu'en pleurer quoi...
Un jour, une dame m'a raconté que dans sa jeunesse, elle était au Liban, elle devait monter dans un bus et qu'elle l'a loupé. Elle était en colère. Elle a appris quelques heures plus tard que ce bus avait explosé. Elle a terminé son histoire d'un "Dans la vie, il faut avoir de la chance". La situation actuelle, ce qu'on appelle pudiquement "les événements" nous rappelle ça que c'est une chance d'être en vie. Et c'est ce que je dis dans le spectacle. Sans la Mort, on s'emmerderait dans une vie sans but, sans rebondissement, sans intérêt. Alors oui, nous sommes là pour une durée limitée. Durée qui est variable et inconnue, en plus. Alors tant qu'on le peut, tant qu'on est vivant : profitons de tout ce que la vie nous offre. Je parle de la Mort pour dire : Vivons ! Et oui, j'ai choisi d'en rire parce que "Nous n'avons pas assez de larmes pour tous les malheurs du monde, il faut bien rire de quelques uns d'entre eux..." Il n'est pas question de se moquer de la tristesse ou du drame. Il doit y avoir un temps pour pleurer. Mais de rire avec ça, c'est avancer dans son deuil. Ma plus grande fierté, avec ce spectacle, ce sont les retours de beaucoup de gens en deuil qui m'ont dit : "Merci. Ça fait tellement du bien de pouvoir rire de ça..."
Vous êtes particulièrement drôle dans les scènes où vous ne parlez pas...je pense à la séquence sur l'équilibriste ou encore votre imitation d'un protestant classique, on vous l'a déjà dit?
Pour la séquence des protestants... C'est d'où je viens tout ça. Je ne joue presque pas, en fait ! Et cette séquence sur l'équilibriste, c'est l'une des choses dont on me parle le plus après le spectacle... Et ça me fait toujours marrer de me dire que j'ai écrit 1h15 de spectacle, et que la chose que les gens retiennent c'est quand je me tais !
Ma formation de clown n'y est pas pour rien. J'adore ces moments de silence, de jeu pur. Ce sont des moments jouissifs pour moi. Faire vivre une situation pour les gens, les faire entrer dans un univers par quelques mimes et hop, créer des ruptures avec ce que les gens pensaient voir.
Tout seul, comme un grand
Interprète(s) : Matthieu Penchinat
Collaboration artistique : Arnaud Demanche, Gilles Simonin, Lisa Robert, Julien Testard
Durée : 1h10
- du 7 au 30 juillet 2016 à 12h45 au Théâtre des Vents (63, rue Guillaume Puy - 84000 Avignon ) - Avignon Off 2016
- Le 7 décembre 2016 à 17h au Théâtre du Point Virgule ( 7, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie - 75004 Paris)
- Du dimanche 22 janvier 2017 au dimanche 2 avril 2017 à La Nouvelle Seine ( Péniche sur berge, face au 3 quai Montebello 75005 Paris ) un dimanche sur deux.
-DU 24/09/2017 AU 17/12/2017 au Théâtre Les Feux de la Rampe ( 75009 Paris)
- Les 8 et 9 février 2018 au Théâtre Jean Vilar - Montpellier ( 34)