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Une trop bruyante solitude : une performance qui mêle à la perfection le grotesque et le sublime

  • Écrit par : Elsa Reynal

SolitudePar Elsa Reynal - Lagrandeparade.fr/ Le proverbe kurde « La solitude est le nid des pensées » aurait pu être le titre de cette pièce tchèque qui nous plonge dans les divagations intérieures de Hanta, ouvrier d’une usine à papier. Ses longues journées, face à sa broyeuse, sont rythmées par les ouvrages censurés qu’il y jette, sans relâche. Ivrogne et répugnant, il est instruit malgré lui : les livres s’imposent dans son quotidien, et il les lit, les feuillette et les aime, seuls moments de répits dans son travail aliénant. Il parvient même à en sauver quelques-uns de leur destruction certaine et les cache chez lui, créant ainsi un véritable mausolée de livres interdits. Envahi de références littéraires, son discours est émaillé d’évocations qui vont du Talmud à Lao Tseu, jusqu’au jour où le rendement de sa machine n’est plus suffisant. Alors dépossédé de son travail, il ne lui reste plus qu’à rejoindre ses livres qu’il chérit tant… Ce texte, écrit en 1976 par Bohumil Hrabal dénonce clairement le totalitarisme et le progrès effréné de l’après-guerre. Mais ici, l’Homme s’affirme face à la barbarie de la société et la rejette sans ménagement et avec poésie. On comprend alors sans peine que cette pièce fut d’abord jouée clandestinement à Prague.

La pièce débute par le vacarme entêtant de la presse à papier qui broie les livres, les avale et les régurgite sous forme de cubes. Ce bruit revient tout au long du spectacle, tel un refrain assourdissant qui évoque le côté rébarbatif et répétitif du travail de Hanta. Le décor est planté. Hanta commence alors un monologue d’une heure, une bière à la main (sa seule échappatoire, avec la lecture).  Il est recouvert d’encre de la tête aux pieds, et n’est éclairé que par une simple ampoule au dessus de sa tête, un éclairage très chiche qui nous transporte immédiatement dans l’obscurité de sa cave, en compagnie de sa presse à papier. On imagine parfaitement les rats qui courent dans tous les sens, métaphores de l’effervescence des sociétés de consommation. D’ailleurs, ces fameux rats, seuls compagnons de Hanta dans sa caverne fantastique, finissent régulièrement dans la broyeuse, allégories d’un système sans merci.  
Hanta dépeint ici son histoire d’amour avec sa presse à papier. Ses pensées vont crescendo, d’abord douces, puis plus animées, jusqu’au jour où il découvre une broyeuse abattant dix fois son travail journalier. Mis sur la touche, il se retrouve alors à déplacer et ranger des feuilles blanches, vierges, ce qui le déprime ; lui qui aimait tant les livres, ces feuilles immaculées l’angoissent.

L’acteur est exceptionnel. Il tient la scène avec panache du début à la fin et jongle avec les mots, en s’appuyant sur une diction irréprochable. Il s’agit d’un véritable tour de force, qu’on ne peut que saluer. C’est d’ailleurs par une ovation du public que se clôture la pièce.

Ce soliloque, mêlant à la perfection le grotesque et le sublime, dépeint avec subtilité la condition humaine et l’ennui des taches rébarbatives et absurdes du quotidien. Cette pièce, plus que jamais d’actualité, oblige à réfléchir… Et si cette course à la productivité n’était finalement qu’un leurre pour nous empêcher de penser à notre condition ? Le débat est ouvert.

Une trop bruyante solitude
Texte : Bohumil Hrabal
Adaptation et mise en scène : Laurent Fréchuret
Traduction : Anne-Marie Ducreux-Palenicek © Editions Robert Laffont
Jeu et collaboration artistique : Thierry Gibault
Son : François Chabrier
Lumière : Eric Rossi
Directeur de production : Slimane Mouhoub
Production : Théâtre de l'Incendie
Durée 1H05

Dates et lieux :

- Du 1er février au 29 mars 2016 au Théâtre de Belleville ( 94, rue du Faubourg du Temple, Paris)  - Lundi à 21h15 et mardi à 19h15

- Du 6 au 28 juillet 2016 à 16h30 (1h) au Théâtre des Halles - La Chapelle  - relâche les 11, 18, 25 ( Festival Off Avignon)

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