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Le journal d'un fou : une interprétation théâtrale haute en couleurs de la nouvelle de Gogol

  • Écrit par : Xavier Paquet

journal d'un fouPar Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Petit fonctionnaire ordinaire, Aksenty Ivanovitch Poprichtchine met du cœur à l’ouvrage dans son rôle de tailleur de crayons pour la Direction du Ministère.

Il s ‘applique, s’échine, recherche la perfection de la pointe. Mais quand on a une imagination aussi débordante, il est difficile de rester sagement assis derrière son bureau. Surtout que la fièvre amoureuse le guette et qu’il s’éprend de la fille de son directeur : lui d’ordinaire effacé, se révèle quand il apprend que celle-ci en aime un autre : son monde vacille, sa vie change de dimension et alors quand il assiste à une discussion entre deux chiens, tout bascule dans son rapport au monde et dans son imaginaire fécond.

Adapté de la nouvelle de Gogol, Le journal d’un fou modernise le texte initial en cassant le monologue par le personnage de Mavra, sa domestique, qui apporte de l’humanité à un fonctionnaire qui perd toute notion de réalité au fur et à mesure de son évolution. Tentant de le maintenir à flot dans le quotidien, elle assiste impuissante à la folie qui gagne petit à petit son maître.
Tout le charme de Gogol se retrouve dans cette pièce aux accents loufoques et absurdes dont le comique répond en écho au pathétique de la situation : privilégié se déclarant fauché, Poprichtchine veut s’élever socialement et rien ne l’arrêtera dans sa quête le menant jusqu’au trône d’Espagne.
fouDrôle mais aussi terriblement touchante, la pièce nous entraîne dans les méandres de la folie où un point de bascule entraîne le personnage dans une longue descente vers la schizophrénie : frustré sentimentalement, peu épanoui professionnellement, il cherche dans son univers ubuesque et farfelu à la fois une porte de sortie de sa douleur personnelle mais aussi une protection face à la violence du monde réel.
Ronan Rivière signe une adaptation léchée et haute en couleurs de Gogol et donne dans son interprétation une tendresse et une humanité qui rendent son personnage terriblement attachant. Il y apporte la virtuosité pour osciller entre légèreté apparente, drame personnel en sous-texte et déchéance progressive vers la perte de toute réalité. Son jeu est puissant, rythmé, intense, avec beaucoup de nuances et de ruptures dans ce tourbillon d’émotions et de sentiments.
Le personnage de Mavra apporte le fil narratif, tantôt en s’amusant des maladresses et amours contrariés de son patron, tantôt en prenant à partie le public comme le dernier fil qui relie Poprichtchine à la réalité.
La mise en scène est sobre mais terriblement efficace pour donner vie et corps au jeu des comédiens. Un plancher de bois, incliné sur différents niveaux, constitue l’essence même du décor modulable suivant les situations : dans le bureau, dans la chambre ou à l’extérieur. Symbole du monde bancal de Poprichtchine toujours sur une ligne de crête pour ne pas tomber.
Les jeux de lumière en clair obscur et la musique de Prokofiev jouée au piano sur scène apportent de l’élégance et un univers fantastique à l’ensemble.
Un bel écrin pour une très jolie pièce sur un homme qui n’arrive pas à trouver sa place dans le monde et qui, pour se la créer, décide de partir dans son propre univers avec poésie.

Le journal d'un fou
Auteur : Nikolaï Gogol
Avec Amélie Vignaux, Ronan Rivière, Olivier Mazal
Metteur en scène : Ronan Rivière

Dates et lieux des représentations : 

- Jusqu'au 10 décembre 2023 au Théâtre Le Lucernaire ( 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris)

 


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