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Et si c’était eux : une mise en scène créative et récréative

  • Écrit par : Xavier Paquet

et si c'était eux Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Et si c’était vrai ? Et si nous n’étions que les complices volontaires d’un show qui met des personnes âgées en exergue et tient la France en haleine ? Et si nous étions la caution du regard qui se détourne quand la vieillesse vient à parler et chercher encore à exister ?

Sitôt rentrés dans la salle du Vieux Colombier, nous baignons dans une atmosphère de plateau TV : accueillis par des agents habillés de tee-shirts aux couleurs de l’émission, intervention des techniciens pour les derniers réglages sons et lumières, maquillage en direct des comédiens sur scène. L’intensité monte au fur et à mesure que l’annonce du direct se rapproche, jusqu’à l’arrivée d’Alban Vauqueur, le présentateur vedette survolté, à la veste délicieusement kitsch et à la mèche rebelle.
« Et si c’était eux », l’émission qui se joue devant nous, c’est une compétition entre trois hospices d’anciens comédiens qui s’affrontent au cours d’épreuves (scène classique, scène libre, improvisation ou chanson) pour obtenir le vote des téléspectateurs et ainsi préserver leurs subventions d’Etat : leur sort aux mains des contribuables pour ne pas être racheté par une structure privée.
Ce soir, ce sont d’anciens pensionnaires de la Comédie Française qui tentent de sauver leur établissement. Grabataires, atteints par leurs problèmes de santé, parfois touchés par Alzheimer, les célèbres comédiens d’hier n’ont plus la fougue d’autrefois. Pantins ou marionnettes, pris au piège d’un jeu qui les dépasse, ils vont pourtant se révéler et retrouver leur verve et leur verbe d’antan. Car oui, par fierté, par ego, par esprit de solidarité ou de revanche, par rage d’encore exister, ils vont mettre à mal la conduite initiale de l’émission dans leur lutte pour rester en vie.
La pièce se veut une satire, une dénonciation comique d’un système social et capitaliste absurde dans la privatisation et la monétisation de la santé et de la vieillesse. Très décalée et absurde, elle réussit à nous faire rire aux éclats avec des situations ubuesques et des personnages hauts en couleur. Elle nous rend de ce fait complice et prisonnier de rire du malheur des autres : une manière de mieux nous toucher et faire passer son message de fond.
« Et si c’était eux », c’est un texte drôle, inventif, avec des trouvailles dans le comique de répétition et de situation, mais aussi des moments plus tendres et touchants, plus sensibles et agrémentés de moments historiques de théâtre par certains monologues classiques.
C’est une mise en scène créative qui reconstitue l’ambiance des plateaux TV, leur logistique et leurs réglages au millimètre, mais aussi l’autoritarisme et la cruauté verbale d’un présentateur vedette quand les projecteurs s’éteignent. Face à cette méchanceté, les vieux comédiens nous offrent une belle humanité, eux qui n’ont plus la jeunesse de leur âge d’or, muets et mutiques au début de la pièce se révèlent progressivement et retrouvent de leur splendeur au fur et à mesure des épreuves. Leur flamme passionnée, restée incandescente, n’attendait qu’une étincelle pour se raviver et chacun voit revenir l’essence de ce qu’ils sont : un comédien n’est pas comédien, il vit.
Saluons l’immense qualité du jeu de la troupe : il en faut du talent pour se confronter soi-même à son propre vieillissement de comédien. Chaque geste est lent mais précis, chaque douleur dans le corps est ancrée, chaque déplacement marque le poids des ans, un formidable travail de diction, de voix rend les personnages réels et réalistes sans tomber dans la caricature.
La pièce est immersive et participative, elle se veut une comédie grinçante sur une problématique actuelle et dénonce, derrière ses élans comiques, une atrocité bien réelle. Derrière le vernis de l’acting, derrière la chaleur des lumières, elle dégage une profonde humanité.

Et si c’était eux

Texte et mise en scène : Christophe Montenez et Jules Sagot
Scénographie et lumières : Florent Jacob
Costumes : Gwladys Duthil
Musique originale et son : John Kaced
Maquillages et perruques : Cécile Kretschmar
Réglage des mouvements : Christophe Thierry
Assistanat à la mise en scène : Elina Martinez
Assistanat aux costumes : Anaïs Heureaux 

Dates et lieux des représentations: 

- Jusqu'au 5 novembre 2023 à La Comédie Française, au Vieux Colombier.


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