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Théâtre : Péguy, notre contemporain

  • Écrit par : Christian Kazandjian

peguyPar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Péguy le visionnaire retrace la trajectoire d’un esprit fort dans une période lourde d’histoire et de contradictions. Août 1914. Charles Péguy est dans son bureau des Cahiers de la Quinzaine, journal qu’il fonda en 1900. On frappe ; entre un jeune journaliste. Il veut faire un entretien avec l’écrivain qui s’apprête à rejoindre son unité au front. Cette rencontre permet à l’auteur de Charles Péguy le visionnaire, de dérouler l’écheveau d’une vie commencée à Orléans en 1873, dont la parenthèse se fermera le 5 septembre 1914 à Villeroy, scène de la bataille de l’Ourcq : la guerre, sa guerre, pour laquelle il engagea tout son patriotisme, n’aura duré que quelques jours. Défileront des dizaines de personnages, en pensée ou incarnés par Bertrand Constant, de l’enfance, jusqu’au départ à la guerre. Il sera question de l’affaire Dreyfus, de l’adhésion au socialisme, des amitiés avec les principaux intellectuels de son temps, des désillusions, de l’attachement indéfectible à la foi chrétienne, de l’œuvre poétique et romanesque, des articles de presse. On l’aura compris : une vie pleine, fauchée à 41 ans par une balle allemande. Une vie d’engagements, non dénuée de grandeur et d’erreurs, de confrontations, de coups de gueule, de ruptures. Et d’amour pour ses trois enfants –un quatrième naîtra après sa mort- et d’attirance pour une belle amie qu’il taira par fidélité à Charlotte l’épouse. Et, par-dessus tout, un amour à la patrie que les nationalistes croiront pouvoir dévoyer. Mais Péguy ne se départira jamais de ses convictions profondes, de celles qui le firent soutenir le capitaine Dreyfus, de celles qui le firent avocat de la cause des Arméniens de l’Empire ottoman, de celles qui firent du catholicisme sa boussole et de Jeanne d’Arc son héroïne. La pièce, écrite par Samuel Bartholin, nous plonge dans une période charnière de l’histoire de la France et de l’Europe. L’évocation de personnages tels que Jaurès, Maurras, Bergson, Suarès, Guesde, déroule le cours de la vie politique, sociale, intellectuelle d’une époque qui a posé les jalons d’un XXe siècle riche en événements. L’affaire Dreyfus marqua la naissance d’une gauche se structurant après l’expérience de la Commune de 1871 ; en contrepoint elle alimenta les haines et rancÅ“urs d’une extrême droite antisémite qui, avec l’idéologue Maurras, se fera collaborationniste en 1940. La Première guerre mondiale redessinera l’Europe, semant des foyers près de s’embraser avec le temps ; elle favorisera, avec la défaite allemande, l’arrivée d’Hitler. Sur le plan culturel, naîtront, sur les décombres des tranchées et les charniers, surréalisme et dadaïsme. Quant au mouvement socialiste, il se scindera, donnant naissance au Parti communiste. Péguy, se voulant esprit libre, adhèrera aux formations politiques, puis s’en détachera, pour trouver enfin réconfort dans la figure de Jeanne de Donrémy et de Marie, tout en contribuant, à travers ses écrits, ses prises de position, à l’enrichissement du débat d’idées. En cela, il reste important, comme est important ce spectacle qui prête à la réflexion sur les temps qui furent et ceux que nous vivons. Il faut, maintenant, saluer la performance de Bertrand Constant. Seul en scène il incarne une grosse douzaine de personnages, de la grand-mère Etiennette au jeune reporter qui stimule le souvenir, du militant socialiste au journaliste vedette de l’Action française, de la mère rempailleuse de chaises au curé intégriste. Le décor est réduit à une table, quelques livres qui seront rangés à la fin, en signe d’adieu, deux chaises. Une cloche comme un glas, annonce les différents épisodes, sur un fond de tentures noires, déroulées tel un linceul. Une voix off rapporte quelques propos de Péguy, comme sa condamnation du pacifisme de Jaurès : « dès la déclaration de la guerre, la première chose que nous ferons sera de fusiller Jaurès Â», sentence qu’il regrettera après l’assassinat le 31 juillet 1914 du fondateur de l’Humanité». En l’absence d’accessoires sur lesquels appuyer le jeu, le mime y pallie : ainsi, le geste de remonter sur le nez des lunettes absentes, campe l’intellectuel Péguy, qui, nonobstant certains errements, aura tenté d’ouvrir une voie humaniste dans une période où s’installait la violence.


Péguy le visionnaire
De : Samuel Bartholin
Mise en scène : Laetitia Gonzalbes
Avec Bertrand Constant

Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 23 décembre 2019 au Théâtre de la Contrescarpe (01.42.01.81.88.) (5 rue blainville, 75005 Paris)

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