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Marcher jusqu’au soir : Lydie Salvayre, hôte d’une nuit au musée Picasso

  • Écrit par : Félix Brun

ma nuit au muséePar Félix Brun - Lagrandeparade.com/ Lorsque son éditrice lui propose de passer une nuit au musée Picasso à l’occasion de l’exposition Picasso-Giacometti et « d’écrire un texte sur une expérience d’enfermement dans un lieu où des œuvres d’art étaient conservées », la première réaction de Lydie Salvayre est le refus. Pourtant par la suite elle accepte cette expérience et…dans le lit de camp installé face à "L’Homme qui marche" l’œuvre majeure de Giacometti, Lydie Salvayre va passer une nuit de déchaînement contre la société, le monde culturel, contre sa propre vie, contre… ! « Je rêve d’un peuple qui arracherait ses œuvres à leurs tristes enclos, à leurs prisons, à leurs mouroirs, à ces hospices pour chef d’œuvre où elles sont confinées et dans les couloirs desquels les badauds se bousculent, puisqu’il faut bien qu’ils fassent quelque chose de leur temps vide et qu’ils s’en mettent plein l’âme de ces sublimités qui vont les hisser jusqu’à l’étage des nantis, c’est compris dans le prix. » elle s’insurge contre le mercantilisme de l’art, l’exploitation cupide des œuvres. "Nous vivions dans un monde qui définissait l’être par l’avoir, et la beauté par son prix." Toutefois elle nourrit une admiration sans limite pour la sculpture de Giacometti qui lui fait face, qu’elle a toujours considéré "constituer l’œuvre au monde qui disait le plus justement et de façon la plus poignante ce qu’il en était de notre condition humaine : notre infinie solitude et notre infinie vulnérabilité […], notre entêtement à persévérer contre toute raison dans le vivre."

Mais là, dans ce face à face, dans cette confrontation avec "L’Homme qui marche", elle ne ressent rien, si ce n’est la colère et une humeur corrosive contre le milieu de l’art et son système institutionnel. Avec maîtrise, maestria et acidité, Lydie Salvayre va établir une définition et une classification du ratage artistique et des ratés ; à titre d’exemple le quatrième est particulièrement virulent : « 4. Les ratés réussis parce que sachant merveilleusement s’adapter à l’imbécilité de leur époque, et montrent sans pudeur sur Facebook, Twiter ou Instagram la moindre de leurs crottes. » Cependant après avoir été libérée de sa « prison muséale » elle découvre dans l’œuvre de Giacometti que « L’homme qui marche, dans le silence et l’isolement m’avait renvoyé sans ménagement à ma propre mort . »… "L’Homme qui marche m’avait rappelé, je crois la destination finale. Le chemin sans issue pour être précise. Le chemin sans issue que je refusais de voir."
Un livre décapant, caustique sur le monde de l’art, mais aussi la célébration de la création artistique et l’éloge de Giacometti. Un essai remarquable où à travers cette confrontation à « L’Homme qui marche » Lydie Salvayre se dévoile, sans fioriture et se livre, se délivre…son père, son enfance, ses débuts littéraires, sa vie…toujours avec en décor la symbolique de « L’Homme qui marche » vers la mort. Le verbe et l’écriture sont parfois corrosifs mais tellement vrais, tellement sincères. Un très grand moment de lecture, un livre très puissant. « L’art ne valait rien sans doute mais rien ne valait l’art. »

Marcher jusqu’au soir
Auteure : Lydie Salvayre 
Editions : Stock
Date de parution : 3 avril 2019
Prix : 18€


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