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La traque : l’affaire Dupont de Ligonès : le détraqué…

  • Écrit par : Guillaume Chérel

la traquePar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Qui n’a pas entendu parler de l’affaire Dupont de Ligonnès ? Le 21 avril 2011, à Nantes (Loire-Atlantique), cinq membres d’une même famille sont retrouvés morts, leurs corps soigneusement emballés sous la terrasse d’une maison bourgeoise.

Absent, le père de famille est immédiatement soupçonné, d’autant plus qu’il a eu le temps de préparer son acte et sa fuite. L’enquête des services de police et de la gendarmerie le démontrera, comme cette BD, « La Traque », des éditions Petit à Petit, basée sur les lieux du crime, ou presque.

L’histoire est glauque mais les auteur.e.s (Valette au dessin, Olivier Petit l’éditeur-scénariste et Valérie Morice, la documentaliste) ont le mérite de résumer les faits, rien que les faits, de manière exhaustive, sans tomber dans le racoleur. Tout y est : la chronologie sur quatre mois, entre le moment où Xavier récupère la carabine 22 long rifle de son père décédé, à la découverte des corps, suite à une exécution méthodique, chaque victime recevant au moins deux balles dans la tête.

Parmi les éléments les plus étonnants, et romanesques, découverts par les enquêteurs, ce sont deux livres (des polars) retrouvés au 55, bld Schuman, au domicile des Dupont de Ligonnès, de l’américain Harlan Coben, au titre prémonitoire : « Disparu à jamais », et Glacé », du français Bernard Minier, roman dans lequel le héros évoque la possibilité d’avoir recours à la chirurgie esthétique pour ne jamais être retrouvé.

Enfin, il est probable que pour perpétrer son crime hors norme, et imaginer sa cavale, Xavier Dupont de Ligonnès se soit s'inspiré de l'affaire « John List », aux Etats-Unis. Le 7 décembre 1971, ce dernier a laissé derrière lui quatre corps, disposés méthodiquement sur des sacs de couchage. Dans une des dix-neuf pièces de l'immense manoir du New Jersey, la famille de John, à savoir sa compagne Helen, 45 ans et ses trois enfants Patricia, 16 ans, John Junior, 15 ans et Frederick, 13 ans ont ainsi été retrouvés sans vie. Une lettre manuscrite adressée au pasteur et signée du père de famille a été retrouvée sur la scène de crime et se terminait par un post-scriptum indiquant que le corps d'Alma List, 84 ans, la mère du suspect, se trouvait dans le couloir du grenier. Les médecins légistes ont établi que toutes les victimes de John List avaient été tuées par balles lors d'une exécution méthodique et millimétrée, qui avait été orchestrée par le patriarche, comme il l'a avoué dans sa lettre. Chrétien convaincu, et membre fidèle de l'Église luthérienne, il expliquait les avoir tuées pour « sauver leurs âmes ». Il affirmait avoir agi le 1er novembre, le jour de la Toussaint, pour qu'ils puissent rejoindre le paradis.

Avant de fuir, John List avait pris soin de partir avec des économies, d'effacer ses empreintes, de nettoyer la scène de crime et de faire disparaître toute photo de lui. Des gestes reproduits quarante ans plus tard par Xavier Dupont de Ligonnès. Son homologue américain a été recherché pendant près de vingt ans. Le 21 mai 1989, une émission consacrée aux fugitifs recherchés des États-Unis est diffusée à la télévision nationale. Près de 200 signalements ont alors permis de retrouver la trace de l'homme qui se faisait appeler Robert Clark. John List avait complètement refait sa vie sous une fausse identité, avant d'être finalement retrouvé grâce à une photo de lui vieillie. John List a été jugé en 1990 à 64 ans. Il a été condamné cinq fois à la prison à vie, où il est décédé en 2008.
Or, on sait que plus de vingt ans avant de tuer son épouse et ses quatre enfants, Xavie Dupont de Ligonnès voyageait aux Etats-Unis. Rien ne permet d'affirmer de façon catégorique que le suspect français s'est inspiré du tueur en série américain. Mais les deux affaires comportent des similitudes très troublantes. Une tuerie dans une maison familiale, où les corps ont été rangés les uns à côté des autres. Deux maris empreints de religiosité, deux hommes avec des difficultés financières, criblés de dettes et sans avenir professionnel. Comme John List, Xavier Dupont de Ligonnès avait savamment mûri sa fuite avant de commettre l'irréparable. Lui n’a pas encore été retrouvé, malgré ce qu’on a cru plusieurs fois, notamment en Ecosse. Alors, mort ou vivant ? Chacun y va de sa conviction : ami.es., ex-maîtresses, à qui il empruntait de l’argent comme journalistes et enquêteurs. Les auteur.e. s de « La Traque » se gardent bien de donner leur avis… mais quand on lit les courriers, et autres mails, de ce qui s’avère être un grand détraqué, qui se voyait plus grand, plus beau qu’il n'était, il est possible que l’affaire Dupont de Ligonès ne soit pas terminée. Il y aura peut-être une suite à ce roman graphique, basé sur des faits réels, excellement exécuté. Il y a même quelques surprises et questions savamment mis en valeur : que faisait-il, deux nuits de suite, dans la banlieue de Nantes (achats de faux papiers d’identité ?), était-ce lui qui a été aperçu dans une station essence, attifé comme un « hobo » (vagabond) ? Pourquoi ce périple dans le sud, avant de disparaitre, après un dernier regard à une caméra de surveillance, comme pour narguer la police ? De la belle ouvrage, malgré la noirceur du sujet. Un récit haletant. Cet homme est/était machiavélique. On peut même dire diabolique, comme ce fut le cas pour l’affaire Romand (cet homme, prénommé Jean-Claude, était lui aussi dans le déni, en mentant dix-huit années sur ses activités – il se prétendait médecin et chercheur – avant d’éliminer sa famille, plutôt que lui-même). Ego quand tu nous tiens…

La traque : l’affaire Dupont de Ligonès
Auteurs:  Valette, Petit et Morice
Editions : Petit à Petit 
191 pages
Prix : 19, 90 € 


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