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Antoine et Cléopâtre de Tiago Rodrigues : Au diable Aristote, vive Plutarque!

Antoine et CléopatrePar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Comme l'explique Tiago Rodriguez, " Antoine et Cléopâtre" de Shakespeare, de par sa non-conformité avec le schéma idéal aristotélicien, n'est pas entrée au Panthéon de ses pièces les plus jouées. Pourtant ce couple mythique fascine depuis l'Antiquité ; le général romain ambitieux et la médusante reine d'Egypte sont dans l'imaginaire populaire actuel une autre version de "Roméo et Juliette". "Assumant" les divers "héritages" de cette histoire narrée d'abord par l'historien Plutarque ( qui s'inspirait lui-même de récits de traditions orales), Tiago Rodriguez intègre même dans sa mise en scène des extraits musicaux du film réalisé par Mankiewicz avec le couple Elisabeth Taylor / Richard Burton.

Face au public, deux acteurs qui ne cherchent pas à créer l'illusion d'être des personnages. Ils sont narrateurs de cette tragédie qu'ils racontent avec leurs mots et leur mémoire qui présente naturellement des incomplétudes. Tiago Rodriguez explique que pour narrer le moment où Antoine fuit la bataille pour poursuivre Cléopâtre, Plutarque a écrit : " l'âme d'un amant vit dans un corps étranger". Le metteur en scène portugais, directeur du Théâtre National D.Maria II à Lisbonne, a choisi de prendre cette idée comme principe directeur de sa pièce. "Antoine expire", "Cléopâtre expire", "Antoine inspire", "Cléopâtre inspire"...le duo de comédiens fait ainsi revivre de manière très sensible la pièce de Shakespeare. Le spectateur est d'abord déstabilisé par le choix de l'anaphore comme leitmotiv verbal - qui peut dans un premier temps exaspérer et/ou lasser - mais s'avère également très vite charmé d'entendre le vers shakespearien s'immiscer souvent entre deux phrases du cru de Sofia Dias et Vitor Roriz, offrant des parenthèses poétiques délicieuses.

" La tragédie de Shakespeare est un inventaire de dichotomies : Orient et Occident, raison et sentiment, masculin et féminin, sexe et politique, guerre et amour, travail et oisiveté, tragédie et comédie". Les acteurs, l'espace scénique d'Ângela Rocha et les lumières de Nuno Meira, traduisent eux aussi cette inhérente dualité. La question du temps est également passionnante dans cette adaptation. Si lors du premier acte, "Antoine entre dans le présent", "Cléopâtre entre avec lui"...Plus tard, lorsque les raisons politiques l'emportent et qu'Antoine préfère le lit d'Octavie pour instaurer le triumvirat avec le jeune César Auguste, le présent devient le lieu-souvenir du bonheur trop tôt perdu: " Quand nous étions dans le présent, tu me suppliais de rester"...Véritable métaphore de l'amour, les amants n'arrivent plus à se retrouver dans un présent qui n'est plus le leur, dont ils sont dépossédés, l'un est " à la limite du passé " l'autre " à la limite du futur", chacun " à un bout du présent" qui déjà n'est plus le même.

On saluera la plaisante complicité qui unit les deux comédiens...dont le rôle glisse subrepticement au cours des "actes" de narrateur à personnage. En effet, avec subtilité, le metteur en scène montre la force des mots et de l'imagination. Si le duo décrit d'abord ce que fait son personnage, détaillant chaque déplacement, chaque parole prononcée, chaque intention, il utilisera ensuite le "tu" pour raconter ce que fait l'autre, troublant progressivement la frontière entre la réalité et la fiction...et, soudain, à certaines minutes magiques de la pièce, il semble que se matérialisent sous nos yeux un "Antoine" et une "Cléopâtre" d'une essence tout aussi universelle qu'émouvante. On applaudira également la performance de ces hispanophones qui se sont appropriés à la perfection la traduction française : la dernière scène - d'une grande singularité mais trop longue tout de même à notre goût - est impressionnante de ce point de vue-là.

Cet "Antoine et Cléopâtre" d'une grande modernité séduit non seulement pour sa vulgarisation - intelligente !!! - d'un épisode de l'Antiquité ( y emmener des collégiens ou des lycéens est donc fortement recommandé) , son inventivité théâtrale ( qui n'étonne point lorsqu'on connaît le travail pertinent de Tiago Rodriguez, notamment sur la question de la transmission et de la mémoire) et son émotion intrinsèque qui fait du présent une formidable toile de jeu tissée des paradoxes et des battements de coeur des amants, du théâtre et de la vie...

Antoine et Cléopâtre
Texte : Tiago Rodrigues, avec des citations d’Antoine et Cléopâtre de William Shakespeare (traduction de Jean-Michel Déprats)
traduit du portugais par Thomas Resendes avec le soutien de la Maison Antoine Vitez, Centre international de la traduction théâtrale
Mise en scène : Tiago Rodrigues
Interprétation : Sofia Dias et Vítor Roriz
Scénographie : Ângela Rocha
Costumes : Ângela Rocha et Magda Bizarro
Musique : extraits de la bande originale du film «Cléopâtre» (1963), composée par Alex North
Création lumière : Nuno Meira
Collaboration artistique : Maria João Serrão et Thomas Walgrave
Production : Teatro Nacional D. Maria II (après une création originale de la compagnie Mundo Perfeito)
Co-production : Centro Cultural de Belém (PT), Centro Cultural Vila Flôr (PT) et Temps d’Images (PT)
Spectacle créé avec le soutien du Governo de Portugal | DGArtes
Résidence artistique : Teatro do Campo Alegre (PT), Teatro Nacional São João (PT) et Alkantara (PT)
Soutien : Museu de Marinha (PT)
Mundo Perfeito est une compagnie résidant à Alkantara (Portugal) et associée à O Espaço do Tempo.
 
Nouveau : ce spectacle sera joué en français

- Du 22 au 25 mars 2016 à hTh ( Montpellier, 34)

- Les 14, 15, 16, 17, 19, 20, 21, 22, 23, 26, 27, 28, 30 sept. et les 1, 2, 3, 5, 6, 7, 8 octobre 2016 au Théâtre de la Bastille (76 rue de la Roquette 75011 Paris Métro Bastille 01 43 57 42 14)

- Le 26/11/2016 à 20:00 - Salt - Festival Temporada Alta - Tel. +34 (9)72 40 20 04
- Du jeu. 04/05/17 au ven. 05/05/17 à Strasbourg - Le Maillon - Tel. +33 (0)3 88 27 61 81
- Le 19 mai 2017 à 21h au Théâtre Forum Meyrin - Genève

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