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Floride : Lauren Groff dans l’envers du paradis

  • Écrit par : Serge Bressan

FloridePar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / D’abord, et c’est ainsi qu’on l’a applaudie, elle a ausculté la double face du bonheur conjugal. En 2017, l’Américaine frappait un grand coup dans le monde des livres avec « Les Furies », un troisième roman aussi implacable que follement féministe après « Les Monstres de Templeton » (2008) et « Arcadia » (2012) et un recueil de nouvelles, « Fugues » (2010). On la retrouve, à 41 ans ce 23 juillet 2019, avec un deuxième recueil de nouvelles sobrement titré Floride. L’écrivaine nous envoie des nouvelles d’Amérique, propose une plongée dans la nature, raconte l’envers du paradis…

De longue date, la littérature nord-américaine apprécie et cultive l’art de la nouvelle- pour mémoire, Raymond Carver, Francis Scott Fitzgerald, William Faulkner, Ernest Hemingway et plus récemment, Alice Munro (prix Nobel de littérature 2013) se sont adonnés à l’écriture du format court. Et voilà donc Lauren Groff qui se glisse dans le mouvement. On rappellera, comme ça en passant, que Lotto, le héros des « Furies », était originaire de Floride… et là, dans ce recueil, tous les personnages ont un lien avec l’Etat (capitale, Tallahassee) : soit ils y vivent, soit ils en viennent- avec toutefois quelques échappées en France, pays de tranquillité et de tempérance selon Groff. En onze nouvelles, d’une plume exquise et saisissante, l’auteure dessine une Floride emplie de fêlures, de non-dits, de tempêtes intérieures- de regrets, aussi. Il y a le climat subtropical, une chaleur oppressante, des ouragans. Il y a également le désordre climatique qui perturbe la vie qui va au quotidien. Oui, avec Lauren Groff, on plonge dans l’envers du paradis, cet envers aux allures d’enfer…
La Floride version Lauren Groff, c’est l’ambigüité. Une région, un Etat où « il y avait pire que d’être au cœur de la tempête : ne pas savoir ce qui se passait », où « un instant, on est au soleil à profiter de l’océan, d’une glace, d’une sieste, de l’amour. Et celui d’après, plus rien ». La Floride, selon l’auteure des « Furies », est menacée encore plus par les tempêtes intérieures. Ainsi, lecteur, on est embarqué dans les pas de deux fillettes. Elles sont seules sur une île. Personne pour les aider, là sur ce morceau de terre où tout fait défaut. On se retrouve avec cette mère qui, chaque soir, attend l’instant où elle confiera les enfants à son époux pour aller déambuler dans les rues du quartier- on lit : « Je ne sais pas comment j'ai pu devenir une femme qui hurle, et puisque je ne veux pas être une femme qui hurle, dont les jeunes enfants vont et viennent le visage fermé, aux aguets, j'ai pris l'habitude après dîner d'enfiler mes baskets pour sortir marcher dans les rues au crépuscule, laissant à mon mari la responsabilité de passer les garçons sous le jet, les mettre en pyjama, leur lire une histoire, leur chanter une chanson et les border dans leur lit, parce que mon mari, lui, n'est pas un homme qui hurle ». Il y a aussi cette femme, Helena, elle est en vacances à l’étranger, un épicier la surveille à son insu- mais c’est lui qui la sauvera. Au fil des pages et de ces onze nouvelles, on croise aussi une étudiante- elle a fait son choix, ce sera solitude et faim- comme pour se purifier…
Chez Lauren Groff, les menaces sont toujours prégnantes, présentes, et les personnages ambigus- ce qui est encore le cas dans "Floride". Dans un monde où tout est incertain, tous flottent entre désir de liberté et besoin de sécurité, envie de solitude et désir de sociabilité. « Floride », c’est sauvage, c’est violent, les éléments sont souvent furieux et les animaux dangereux. Une fois encore, l’auteure américaine confirme qu’elle sait à la perfection jouer du flou, de l’ambiguïté. « Floride », c’est le mix réussi entre l’univers de Tennessee Williams et Sur l’eau de Guy de Maupassant- un mix auquel Lauren Groff saupoudre avec allégresse d’une bonne dose de psychologie, de féminisme et de modernité…

Floride
Auteur : Lauren Groff
Traduit par Carine Chichereau
Editions : L’Olivier
Parution : 2 mai 2019
Prix : 22,50 €

[bt_quote style="default" width="0"]Dans la journée, quand mes fils sont à l’école, je ne peux m’empêcher de lire des articles sur les désastres qui frappent le monde, les glaciers qui se meurent tels des êtres vivants, le vortex de déchets du Pacifique, les centaines d’espèces qui s’éteignent sans même qu’on le sache, millénaires effacés comme s’ils n’avaient aucune valeur.[/bt_quote]


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