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La source de l’amour-propre : le testament de Toni Morrison

  • Écrit par : Serge Bressan

morrisonPar Serge Bressan - Lagrandeparade.com / Par-dessus tout, elle tenait à sa liberté. On lui avait collé une étiquette : rebelle. A partir de 1993, c’est même devenu « rebelle et Nobel Â», après qu’elle eut reçu le prix Nobel de littérature. Elle était la première femme afro-américaine à être récompensée par l’Académie suédoise. Née le 18 février 1931 dans l’Ohio dans une famille ouvrière de quatre enfants, Toni Morrison aura brillé par son pragmatisme politique jusqu’à sa mort le 5 aout 2019. Un pragmatisme que l’on retrouve dans « La Source de l’amour-propre Â», son livre paru aux Etats-Unis en février dernier et en VF en ce début d’automne. Un livre dans lequel elle avait réuni, dans les derniers mois de sa vie, quarante-trois essais et discours écrits et / ou prononcés dans des universités (pour la plupart, à Princeton où elle enseignait) au cours des dernières décennies, et répartis en une courte introduction, une première partie (titrée « La patrie de l’étranger Â»), un interlude (« Black Matter(s) Â») et une deuxième partie- « Le langage de Dieu Â». En un peu plus de quatre cents pages pour « une explosion de pure intelligence Â» selon « The Boston Globe Â», on retrouve les thèmes qu’elle a développés tout au long de sa vie d’auteure, de professeure et de militante. Des thèmes aussi variés que le rôle de l’artiste dans la société, le rôle de l’imagination en littérature, la part des Afro-Américains dans la culture des Etats-Unis, le pouvoir et les pouvoirs du langage.

Dans l’introduction, elle annonce : « Les régimes autoritaires, les dictateurs et les despotes sont souvent (mais pas toujours) idiots. Mais aucun n’est assez idiot pour laisser à des écrivains dissidents et perspicaces toute latitude de publier leurs jugements ou de suivre leurs instincts créateurs Â». Ou encore : « La vie et l’œuvre d’un écrivain ne sont pas un don fait à l’humanité : ils sont sa condition nécessaire Â». Auteure de livres essentiels (entre autres, « Beloved Â»- 1989, et « Home Â»- 2012), proche des présidents Bill Clinton et Barack Obama qui la présentait comme « un monument national Â», elle s’est fait un devoir, un honneur et une obligation de ne jamais citer Donald Trump par son patronyme… Elle s’interrogea : « Comment faire en sorte que personne ne soit plus perçu comme un étranger en son propre pays ? Â» A chacune des pages de « La Source de l’amour-propre Â», transpire une des idées fixes de Toni Morrison : imposer la question de la race dans la littérature- ce qu’elle résumait en une formule forte : « Je n’ai jamais vécu, ni personne, dans un monde où la race n’importait pas Â». Au hasard du livre, parmi ces quarante-trois ou discours, on croise Martin Luther King, quelques peintres noirs qui ont réfléchi, dessiné ou incarné les tiraillements identitaires de l’Amérique. On lit aussi avec émotion et admiration l’éloge funèbre qu’elle prononça lors des obsèques de l’écrivain afro-américain James Baldwin (1924- 1987), auteur de, entre autres, « La Conversion Â» et « Face à l’homme blanc Â». Elle ne manque pas d’évoquer « Le corps-esclave et le corps noir Â» : « â€¦l’esclavage et le racisme sont deux phénomènes distincts (…). Ce que l’esclavage du Nouveau Monde a de « particulier Â», ce n’est pas son existence mais sa transformation en ténacité du racisme ». Il y a aussi le temps fort du recueil, le texte d’une conférence de 1992 qui lui donne titre : « La source de l’amour-propre Â». L’auteure y réfléchit sur le jazz, ne cache pas que la vivacité de la note bleue emplit nombre de ses livres…
Dans ces textes qui constituent son testament littéraire et politique, Toni Morrison s’y montre toute en générosité et en intransigeance. Femme forte, femme puissante, offrant à ses lecteurs un style vigoureux et visionnaire, elle n’a jamais rien fait d’autre que d’appeler à la lutte, au rêve. A l’action, encore et surtout. Cette action qui est bien la source de l’amour-propre…

La source de l’amour-propre
Auteur : Toni Morrison
Traduit par Christine Laferrière
Editions : Christian Bourgois
Parution : 3 octobre 2019
Prix : 23 €

[bt_quote style="default" width="0"]Comme l’existence devient morne, invivable, insoutenable quand nous sommes privés d’œuvres d’art. il est urgent de devoir protéger la vie et l’œuvre d’écrivains confrontés au péril, mais en plus de cette urgence, nous devons nous rappeler que leur absence, l’entrave à l’œuvre d’un écrivain ou sa cruelle amputation, sont d’un danger égal pour nous. Le secours que nous étendons aux écrivains est une générosité envers nous-mêmes.[/bt_quote]


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