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Dans l’embâcle : le Diable s’habille en hipster

Le dilettantePar Valérie Morice - Lagrandeparade.com/ « L’hiver au pôle Nord, les eaux se soudent et deviennent des montagnes de glace contre lesquelles on se brise ». C’est par cette définition que s’achève le roman de Sylvie Dazy et il faudra l’avoir lu jusqu’au bout pour en comprendre le double sens et sa portée métaphorique. L’originalité du récit réside dans la méthode utilisée par l’auteure à donner aux titres des chapitres, le nom des principaux acteurs. On s’aperçoit rapidement qu’il y a un petit privilégié dans cette affaire : Paul Valadon, le seul à parler à la première personne, les autres bénéficiant d’un narrateur omniscient. Il faut dire que c’est un cas : atteint du syndrome de Diogène, c’est en quelque sorte le fou du village, marginal et reclus, dont le jardin n’est qu’un vaste dépotoir (et pourtant le seul qui réussira à tirer son épingle du jeu lors de l’Apocalypse finale.

Au-delà de sa pathologie, Paul Valadon, veuf, seul avec ses bêtes, se rebelle contre la surconsommation et la pollution qu’elle engendre (« l’histoire de l’Humanité, c’est l’histoire du gâchis »). Il préfère garder ses ordures ménagères chez lui plutôt que polluer le paysage urbain.
On est progressivement amené à se demander si tout compte fait le personnage principal ne serait pas précisément la « ville », anonyme car jamais citée, nommée dans plusieurs chapitres, et dont le cœur est symbolisé par le quartier de la Fuye, un ancien quartier communiste, un quartier de cheminots qui fit autrefois sa gloire et sa richesse, et qu’un promoteur et sa horde d’agents immobiliers souhaitent transformer en Boboland, terre d’accueil des hipsters et autres végans. Insidieusement la nature guette, veut reprendre ses droits et laisse planer au-dessus de la ville une incertitude qui pourrait tout remettre en question. Le quartier est situé entre deux fleuves et plusieurs crues ont déjà eu lieu au cours des siècles précédents. Quelles conséquences si la ville se retrouvait à nouveau sous les eaux, qu’en serait-il des beaux projets de réaménagements et de rénovations ? Les ambitions des promoteurs vaniteux risqueraient être réduites à néant, mais à quel prix ?
Peut-on dire que le roman de Sylvie Dazy est un roman « sociétal » ? La réponse est certainement oui, car c’est un roman sur l’entraide, la solitude, la marginalité et l’inégalité des classes sociales, assorti d’une dénonciation de la course au profit, au détriment de l’humain, une alerte à la surconsommation et au marketing, la loi du plus faible contre le plus fort (et on s’apercevra que ce ne sont pas forcément les plus faibles qui gagnent à la fin).
L’humanité et le manque d’humanité tiennent une grande place dans ce récit, empathie dont certains personnages semblent être dépourvus, mais qui ne passe pas inaperçue aux yeux de Paul Valadon : « on aime, on achète et on jette. Cela vaut aussi pour les vivants ».
Difficile de ne pas admettre que les personnages sont attachants, à l’image de Malick, qui ne peut se résoudre à vendre son bistrot inscrit au patrimoine local, Louise, la jeune assistante sociale qui tente de nouer le dialogue avec Paul Valadon, et deux petites bonnes femmes qui pourraient être nos mamies, qu’on va déloger moyennant finance et reloger dans un nouveau quartier.
L’auteure du roman a été éducatrice, chargée de réinsertion aux prisons de Fleury-Mérogis et de la Santé, et admet avoir beaucoup appris des relations humaines aux travers ces expériences. Pas étonnant donc que le thème de la solidarité déjà abordé dans « Métamorphose d’un crabe », son premier roman et qui se déroulait dans le milieu carcéral, refasse surface.

Ce roman est une belle découverte, avec une deuxième partie plus qu’haletante, des évènements qui se déversent aussi rapidement qu’une arrivée des eaux et qu’on ne lâche à aucun moment, par crainte de perdre pied.

L'embâcle
Editions : Le Dilettante
Auteure : Sylvie Dazy
208 pages
Prix : 18,00€
Parution : 13 mars 2019

 

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