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Femme au foyer : un roman sur l'extraconjugalité parfait et terrifiant

Femme au foyerPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ Anna est "une bonne épouse" à quelques infidélités près. A vrai dire elle ne sait pas se passer de ses infidélités, dont les complices en CDD sont interchangeables car indifférents. Femme au foyer, plus que mère. Comprenez : alchimiste qui s'ignore, comme le Bourgeois gentilhomme fait de la prose sans le savoir, ou comme Emma, la bonne épouse flaubertienne de Charles, fait du Bovarysme par anachronisme. Car Anna s'évertue à transformer le plomb de son quotidien en or. Et se brûle à ses feux de joie. Encore que de joie, il faille parler vite car d'incandescence, d'exaltation, hélas point: elle consomme le corps extraconjugal comme une boulimique dévore l'objet de sa compulsion, sans en retirer de satisfaction troublante et décisive. Il faut donc recommencer le lendemain, traquer l'intensité fuyante, tout ce qui pourra, dans un spasme orgasmique assez ordinaire, secouer un peu l'inertie de la ménagère modèle. Le roman décrit cette quête au petit bonheur la chance d'une femme pourtant rangée, étanchant sa soif de sensations fortes pour tromper l'ennui. Mais le corps n'y exulte que mécaniquement, sans âme et sans passion. Anna tombe bien amoureuse une fois de ses frères d'infortune, et s'en relève mal. C'est là que tout s'enraye, sa petite entreprise garantie à risque O menace de s'écrouler. On est pourtant dans un lieu rassurant, une Suisse ponctuelle et ordonnée, mais tout en vient très vite,  espace et temps urbain soigneusement quadrillé, loisirs sages et instructifs, psychanalyse conscencieuse, statut civil rangé, à se disloquer autour de l'héroïne qui joue inconsidérément avec le feu. Glaçant, le style de Jill Alexander Essbaum met en place les rouages d'une tragédie, avec un final inattendu mais qui boucle la boucle ouverte aux premières lignes si on y a été attentif. Rien ne semble s'être glissé par hasard sous la plume de l'écrivain, le récit se trouvant admirablement structuré pour que chacun de ses ressorts, métaphores linguistiques et alchimiques, balises de l'analyse psy, géographie de l'errance, mène le lecteur au terme inexorable de cette histoire. Parfait et terrifiant. Desperate housewife en mode thriller implosif. Un mélange de Mme Bovary et Mme Butterfly à l'heure du speed dating et de "l'île de la tentation", que cette ménagère blasée et immolée sur l'autel de l'ennui conjugal.

Femme au foyer
Auteur: Jill Alexander Essbaum
Editeur: Albin Michel
Traducteur: Françoise du Sorbier
Parution: 5 janvier 2016
Prix: 22 euros

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