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Orhan Pamuk : Istanbul, mon amour

opamukPar Serge Bressan -  Lagrandeparade.fr / Prix Nobel de littérature 2006, né le 7 juin 1952 à Istanbul et un des écrivains essentiels de l’époque, le Turc Orhan Pamuk signe « Cette chose étrange en moi ». Une fresque magnifique, un grand texte. Tout simplement, un des événements de cette rentrée littéraire… Et voici bien le livre qui demande attention et concentration- sa lecture se mérite ! Oui, « Cette chose étrange en moi »- le nouveau roman du Turc Orhan Pamuk, est une œuvre de la plus belle facture. Physiquement, c’est lourd- au propre (près de 700 pages) comme au figuré. Un roman au sous-titre immense (« La vie, les aventures, les rêves du marchand de boza Mevlut Karatas et l’histoire de ses amis et Tableau de la vie à Istanbul entre 1969 et 2012, vue par les yeux de nombreux personnages »), précédé par un arbre généalogique et bouclé par une chronologie et un index des personnages ! Prêt pour cette épopée ? on s’y lance- début le jeudi 17 juin 1982 avec une citation : « Il n’est guère d’usage d’accorder la main de sa plus jeune fille alors que l’aînée n’est pas encore mariée » (Ibrahim Sinasi, « Le Mariage d’un poète »), et un proverbe populaire de de Beysehir (région d’Imrenler). Premières phrases du roman : « Voici l’histoire de Mevlut Karatas, vendeur de yaourt et de boza. L’histoire de sa vie et de ses rêves. Mevlut naquit en 1957 dans un pauvre petit village d’Anatolie centrale donnant sur un lac brumeux, quelque part dans la partie la plus occidentale de l’Asie. Il arriva à Istanbul, la capitale du monde, à l’âge de douze ans et, dès lors, y passa le reste de sa vie ».

« Cette chose étrange en moi » a pris, si on le croit (et pourquoi ne pas le croire ?), six ans de la vie d’Orhan Pamuk, dont trois pour l’écriture. On l’a compris, dans ce foisonnement, dans cette épopée, dans cette fresque, le héros est donc Mevlut. Comme tant de paysans pauvres d’Anatolie, il est venu avec ses parents à Istanbul- espérant une vie meilleure. A présent, dans les rues de cette ville de presque 15 millions d’habitants et sise sur deux continents, il vend la boza- sorte de yaourt liquide et doucement alcoolisé (« pour le taux d’alcool, précise Pamuk, trois verres de boza sont équivalents à un verre de bière… »). Les années passent, Istanbul ne cesse de s’étendre avec une urbanisation frôlant en permanence la folie. Là, au fil du temps, inexorablement ( ?), le raki supplante la boza. Mais qu’importe ! même si ses amis se marient et agrandissent leurs habitations, Mevlut, lui, continue d’arpenter les rues stambouliotes. Avec Mevlut, c’est encore et toujours Istanbul, mon amour et tant pis si des projets de commerce ne prennent pas forme ou si ses lettres d’amour n’arrivent pas à la bonne destinataire…
Dans cette épopée, dans cette fresque, en magicien du roman qu’il est, Orhan Pamuk utilise ce marchand ambulant, cette vigie mobile et privilégiée pour happer et décrire dans ses moindres détails (« J’aime consigner les plus petits détails de la vie quand ils sont révélateurs d’une évolution économique et sociale- autant, selon moi, que le nom d’un roi ou d’un ministre », précise le romancier), dans ses moindres recoins un monde et une civilisation en plein bouleversement sur une période de cinquante ans. A travers Mevlut- et aussi ses amis, on découvre, on perçoit la transformation, l’explosion démographique de cette ville d’Istanbul, une des plus peuplées au monde en ce début de 21ème siècle. Une ville de toutes les folies dans laquelle un homme venu de la province a décidé d’y être heureux. Longtemps, Orhan Pamuk a travaillé sur un texte à la troisième personne- peu satisfait du résultat, il a opté pour une narration à la première personne, pour le « je ». Ce qui donne, au final, une chronique sociale et familiale, saupoudrée d’une pointe d’épice politique. Une chronique qui transpire de cette chose étrange en moi, quelque chose qui ressemblerait à la nostalgie et à la mélancolie…

Cette chose étrange en moi
Auteur : Orhan Pamuk
Editions : Gallimard
Parution : 17 aout 2017
Prix : 25 €

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