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Ma vie Atomique : Voici l’enquête littéraire d’un homme en colère contre le nucléaire

Vie atomiquePar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Ce récit commence par une histoire de piscine… Jean Songe, l’auteur de « Ma vie atomique » a beau avoir horreur de ces endroits visqueux (nids à microbes, pense-t-il), il accepte d’y emmener ses deux filles qui ont envie de se baigner par une belle journée d’été. Il vit dans le sud-ouest, après avoir quitté l’enfer pollué de Paris, et se dirige vers le seul centre nautique du « coing » (Jean Songe a pris l’accent sur place, il dit et écrit souvent « putaing ! »), à savoir Golfech. C’est là qu’il réalise avoir attiré, sans le savoir, sa famille chérie dans un piège. Pas besoin de tsunami. Un tremblement de terre suffirait. Du côté de Fukushima (Japon), le 11 mars 2011, vient d’avoir lieu la catastrophe que l’on sait… Et si en France… Et si à Golfech : « J’ai pénétré dans le monde nucléarisé en aveugle, à la Ray Charles, et je ne savais pas encore que j’en ressortirais avec les yeux de Kafka. », confesse-t-il.

 

Jean Songe va découvrir l’ampleur d’un danger qu’il ne soupçonnait pas jusque là, comme nous tous. Aveuglés et amnésiques que nous sommes. Il y a pourtant eu l'accident nucléaire de « Three Mile Island » (Etats-Unis), le 28 mars 1979, dans la centrale nucléaire située sur l’île de la rivière Susquehanna, près de Harrisburg, dans l'État de Pennsylvanie. Et puis la catastrophe de Tchernobyl (Ukraine), le 26 avril 1986, dans l’ex-Union socialiste Soviétique. La plus grande catastrophe du XXe siècle, classée au niveau 7, le plus élevé sur l’échelle des évènements nucléaires.
Depuis cette prise de conscience, Jean Songe a enquêté et ce qu’il a découvert en France notamment fait froid dans le dos. Narrateur-personnage de l’histoire, il s’inspire du journalisme gonzo pour écrire un récit vivant, bien qu’il soit bourré d’informations parfois très techniques. Il serait américain, on crierait au génie ! En effet, il nous plonge dans un rapport accablant sur l’industrie nucléaire. Il dévoile combien cette filière est, à l’image des centrales vieillissantes, bourrées de failles et de fissures. Où règnent l’absurdité, la confusion et le mensonge. En résumé, le nucléaire, c’est un peu comme l’économie, plus c’est gros, plus c’est fumeux, mieux ça marche, mieux ça passe. C’est incompréhensible aux yeux des béotiens mais ce qui est ahurissant, c’est que les prétendus spécialistes semblent eux-mêmes ne pas maîtriser le monstre qu’ils ont créé comme dans le roman de Mary Shelley.
Dans ce récit, plein d’humour malgré tout, le lecteur rit jaune car la menace est présente chaque jour. Selon Etienne Ghys, directeur de recherche au CNRS, cité par l’auteur, il y a 72 % de chances qu’il y ait un accident nucléaire majeur en Europe dans les trente prochaines années. « La question n’est plus de savoir s’il y aura un accident nucléaire grave en France, mais quand et où », avait même glissé un cadre dirigeant d’EDF au journaliste Thierry Gadault, en octobre 2013. Même si les nuages nucléaires contourneraient évidememnt notre hexagone comme par magie (remember Tchernobyl). Bref, une catastrophe sanitaire et écologique, telle que l’humanité n’en a jamais connue, nous pend au nez, sans même l’aide de Daech. Le livre de Jean Songe frappe au plexus et nous retourne l’estomac.
Le nucléaire pourrait bien un jour anéantir l’espèce humaine, rappelle-t-il. Il faut agir vite pour que l’innovation soit mise sur des productions d’énergie écologiques et fiables à long terme. Les centrales nucléaires sont des bombes à retardement. Connu pour ses romans noirs, l’ex-journaliste musicien nous aura prévenus. Il signe là un livre grave. Tout ce qu’il avance est étayé. Il fournit une étude fouillée et détaillée du nucléaire civil et de ses risques. Son but est de réveiller les endormis : « Le rôle de l’écrivain n’est pas d’écrire sur le côté aimable, ou difficile, des choses, mais sur leur côté inimaginable », écrit-il. Il y 58 réacteurs pour 66 millions d’habitants en France. Nous sommes 5 millions à vivre à moins de 30 km d’une centrale nucléaire.
Malgré les catastrophes très meurtrières (des dizaines de milliers de morts), la suprématie du nucléaire en France n’a jamais été remise en question. Depuis le choc pétrolier de 1973, la France s’est engagée à corps perdu dans le plan « tout électrique, tout nucléaire », au nom du besoin d’indépendance énergétique – alors que l’uranium est désormais fourni majoritairement par des puissances étrangères. En France, le nucléaire est roi, et les énergies renouvelables sont reléguées au second rang, voire au dernier. Elles ont reçu moins de 2 % des sommes attribuées à la recherche entre 1985 et 2002. Et la loi sur la transition énergétique votée en août 2015 ne détrône pas le nucléaire – il devra désormais représenter 50 % de la production d’électricité à l’horizon 2025, contre 40 % pour les énergies renouvelables en 2030. Mais pour l’ancienne dirigeante d’Areva, Anne Lauvergeon, nul besoin de s’affoler. Trois jours après le début de la catastrophe de Fukushima, elle assurait: « c’est une catastrophe naturelle, pas nucléaire, qui se déroule au Japon. »
Mais le piège économique s’est refermé. D’après un cabinet d’audit nommé par le ministère de l’Économie allemand, démanteler un réacteur coûterait 4 milliards d’euros, note Jean Songe : « Transposé au parc nucléaire français, le coût du démantèlement de nos 58 réacteurs est de 232 milliards d’euros ». Le choix du nucléaire est un fardeau immense pour les générations futures : « Imaginez que les Égyptiens aient stocké du nucléaire, aujourd’hui qui s’en occuperait ?”, s’interroge l’astrophysicien Hubert Reeves. Si l’on ne tire pas de leçons du passé et de ses catastrophes nucléaires, notre passé (et notre présent nucléaire) nous pourchassera, nous handicapera, et nous volera notre futur, s’alarme Jean Songe.
Pour une victime d’irradiation, il n’y a aucun traitement médical, rappelle Songe, avant d’évoquer le cas d’Anatoli Saragovietz. Liquidateur lors de la catastrophe de Tchernobyl, ce dernier est intervenu immédiatement après l’accident. Un acte qui lui a coûté sa vie, et sa dignité humaine, relate l’auteur, citant la femme du liquidateur : « Il est resté couché 6 mois, après quoi il s’est décomposé vivant. Tous ses tissus ont commencé à se décomposer, au point que les os iliaques étaient visibles. […] Le dos tout entier, les os étaient à nu. L’os de l’articulation du fémur pouvait être touché avec la main. J’introduisais ma main couverte d’un gant, et je désinfectais l’os. J’extrayais de là des résidus d’os qui s’en allaient, de l’os décomposé, pourri. » (voir le film « La supplication », qui sort le 23 novembre 2016, que nous allons évoquer ndla). Anatoli Saragovietz n’aurait même pas dû être approché par sa femme pendant son agonie. A l’épouse d’un pompier de Tchernobyl irradié, les médecins avaient assuré : « Ce n’est plus votre mari, l’homme aimé qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination ». L’homme avait été changé en réacteur nucléaire, il brûlait de l’intérieur et contaminait tout ce qui l’entourait. Son cadavre a fini dans un cercueil blindé. Il est devenu un « déchet » nucléaire…
Jean Songe n’est pas un militant Vert-écolo ni un bobo en dehors des réalités, c’est tout le contraire. Tel Georg Orwell dans 1984, il tire la sonnette d’alarme et réclame un démantèlement des centrales nucléaires avant qu’il ne soit trop tard : « L’immense pouvoir que représente la maîtrise de l’énergie dans nos sociétés développées se retrouve entre les mains d’une technostructure qui n’a de comptes à rendre à personne, d’une extrême minorité qui perpétue son pouvoir en occupant tous les postes-clés : autorités de contrôle comme l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire), industriels (Areva, EDF), ministères, enseignement supérieur », rappelle-t-il. Il y a plus d’un siècle, Mark Twain affirmait : « Il est plus facile de tromper les gens que de les convaincre qu’ils ont été trompés ». Après ce livre on ne pourra pas dire : « On ne savait pas. »

Ma vie Atomique
Editions: Calmann-Lévy
Auteur : Jean Songe
315 pages
Prix : 19 €
Parution : 19 octobre 2016

 

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