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Jean Mattern : De ce qu'on gagne à perdre

PertePar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ La collection dirigée par Michel Gribinski confronte ses auteurs à l'épreuve du compromis freudien entre principe de plaisir et principe de réalité. Or il en est de la perte comme de ces quelques notions particulièrement appropriées à rendre compte d'un dialogue aussi fondamental et créatif. C'est l'écrivain Jean Mattern qui en propose l'examen dans ce présent volume de la série, intitulé "De la perte et d'autres bonheurs".

Intriguant, ce titre peut sembler provocateur à qui souffre de perte et y voit tout sauf un facteur de réjouissance, encore  moins de félicité. Pourtant les négligeants et les maladroits, ainsi que tous les amers coutumiers de la frustration gagneront à augmenter leur bibliothèque de ce court ouvrage. Pour interroger ce qu'on perd et comment, rêves, langue ou équilibre, l'auteur retrouve quantité de souvenirs personnels qui rendent plus vivant que magistral cet éventuel cours de psychanalyse que d'aucuns bouderaient volontiers d'entrée, lui préférant la docte empirie de l'existence. Or c'est justement ce socle que le romancier ici donne à son investigation: l'événementiel anecdotique comme la perte d'une clé USB, une filiation de réfugiés de guerre ou une rencontre avec une flûtiste-bibliothécaire. Il y est question aussi, évidemment, du grand expert en perte et autres bonheurs, en actes manqués et oeuvres réussies, l'art - ici celui de Shakespeare et de W. Jensen, ou de Mahler. Bref, pour parler de ce qui se soustrait, ce livre multiplie les pistes à en perdre pieds, jusqu'à gagner Pompéi tout à la poursuite d'une statue ensevelie. C'est que l'enfoui est la grande affaire de la cure, son horizon et son terreau. Et qui parlerait mieux de la grande douleur muette de la perte qu'un corps de femme abîmé dans le marbre? Les statues, qui sont faites pour être touchées et désignent l'insaisissable, inscrivent dans l'argile de notre psyché un trop-plein où s'éreintent nos étreintes manquées. Aussi n'est-ce pas la moindre pertinence de ce livre que de donner à relire Freud commentant une nouvelle de W. Jensen où un archéologue s'éprend jusqu'au délire d'un bas-relief. Suivant  les consignes de l'exercice éditorial, Jean Mattern aura rempli sa mission en rivant l'écriture au désir - l'autre nom du manque- et en l'articulant à la cure, qui vient emplir une identité en creux, la révélant à soi-même ainsi que fait l'amour. A le suivre, le lecteur entrevoit comment appréhender sa vertigineuse peur du vide tant il y gagne de l'espace,  souterrain et géographique, mais aussi du temps en plus, du temps retrouvé, à se plonger dans l'histoire antique, dont la science appliquée est la soeur vraiment de l'archéologie psychanalytique. "De la perte et autres bonheurs" est donc, contre toute attente peut-être, à mettre entre les mains des insatisfaits convaincus, des impatients et des anxieux, des nostalgiques et des désespérés, afin qu'ils y puisent du plein et reprennent pied, et langue, tant la perte a peu à voir en somme avec le vide ou l'anéantissement.

De la perte et autres bonheurs
Auteur: Jean Mattern
Editeur: Gallimard
Parution: 3 octobre 2016
Prix: 9,50 euros

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