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Mathieu Pinon : "Il manquait un ouvrage « pop »" sur le Japon

MathieuPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Après une brève carrière dans l’éducation nationale, Matthieu Pinon est devenu journaliste spécialisé dans les mangas. Pendant dix ans, il a collaboré avec la société qui édite les magazines AnimeLand et Japan Life Style, et il travaille actuellement avec le magazine Coyote et le site Chronicart.com. En avril 2015, paraît son «  Histoire(s) du manga moderne », un ouvrage retraçant 60 ans d’évolution du manga, de 1952 à 2012. Un an plus tard, c’est «  108 étoiles du Japon » qui débarque en librairie, dans lequel il présente aux lecteurs français les personnalités les plus célèbres au Japon : auteurs, scientifiques, artistes, sportifs, réalisateurs, comédiens, musiciens et stars TV. Un ouvrage fort bien documenté à la maquette attrayante. Vous aurez l'occasion de le rencontrer en dédicace du 7 au 10 juillet 2016, lors de la 17ème édition de la JAPAN EXPO.

Ce livre est né de la volonté d'élargir l'horizon culturel que les français ont du Japon. A quel moment avez-vous eu l'envie de le concevoir? Qu'est-ce qui a déclenché le projet? Une anecdote?

L’idée germait en moi depuis plusieurs mois, de la conjonction de mes voyages au Japon et mes fréquentes visites de salon « dédiés au Japon », où cohabitent en fait deux catégories de public. D’un côté, les adolescents fans de mangas, dessins animés et jeux vidéo ; de l’autre, un public plus mature attiré par les arts traditionnels comme la cérémonie du thé, l’ikebana (art floral), les kimonos… Dans les deux cas, ils s’intéressent au Japon par ricochet, car c’est le pays d’origine de leur hobby/passion, mais n’en ont qu’une vision parcellaire. En librairie, la majorité des ouvrages sur le Japon se répartit en trois catégories : le Japon via les mangas/animé, le Japon traditionnel ou essai socio-historique austère sur le Japon. Il manquait un ouvrage « pop », qui puisse non seulement satisfaire les deux publics passionnés déjà cités, ados et adultes, mais également intéresser les simples curieux, les béotiens qui voudraient en savoir plus sur la culture populaire du Japon, sans devoir passer par la case « manga » ou la case « Japon d’antan ».
C’est après Japan Expo que j’ai su comment le concevoir. Elle est vraiment sortie du sol en juillet 2015. Le vendredi ou le samedi de Japan Expo, sur le trajet du retour en RER, je discutais avec trois collègues d’un magazine pour lequel je pige. L’un d’entre eux m’accompagne dans notre voyage annuel tokyoïte, et nous expliquions je ne sais plus quelle spécificité typiquement nippone aux deux autres. A ce moment, un compagnon de wagon (quiconque a pris le RER B pour rentrer de Japan Expo connaît la densité humaine qui y règne) s’est retourné vers nous avec un regard émerveillé en s’exclamant : « Vous êtes allés au Japon ? LA CHAAAANCE ! » Cosplayé en Naruto, il avait à peine 20 ans, un badge Premium autour du cou et un énorme sac rempli de divers achats (mangas, DVD, figurine…), et nous avons un peu discuté avec lui. Je n’ai pas pensé à lui demander sur le moment d’où il venait, mais avec un calcul approximatif, son investissement (quatre nuits d’hotel + le pass Premium + ses achats) représentait la moitié de la somme pour un séjour de deux semaines au Japon (vol + hébergement + transports). En sacrifiant deux Japan Expo (soit huit jours de festival), il pourrait très bien en avoir quinze au Japon même. J’ai vraiment perçu combien l’argument pécuniaire (« C’est cher d’aller au Japon ») masquait en fait pour beaucoup la crainte de ne pas reconnaître le pays qu’ils s’imaginent à travers mangas, dessins animés et jeux vidéo. Bref, d’être paumé.
J’ai aussitôt pensé à la situation : ce jeune homme est le seul étranger dans un restaurant de ramen ou un bar, entouré de clients curieux et sympathiques, qui ont envie de discuter avec lui, mais il est bloqué par la barrière de la langue. Il lui faudrait un livre avec les stars du moment, une image, leur nom en kanji, et aussitôt la conversation se liera, tant bien que mal. Et selon qu’il soit entouré d’étudiants, de salarymen ou de retraités, il faut parler des icônes de plusieurs générations. Dans plusieurs domaines. Tout était là, je l’ai proposé à mon éditeur Ynnis un mois plus tard, l’idée a été très bien accueillie, et après six mois de recherche, d’écriture et de maquette, « 108 étoiles du Japon » est sorti en librairie le 6 avril dernier. Pour l’anecdote, les premiers exemplaires, livrés en avance, m’ont été fournis pile avant mon départ pour le Japon, fin mars dernier. J’ai ainsi pu les offrir en remerciement aux Japonais(es) qui ont contribué à garantir que les personnalités retenues soient connues de tous.

Etoiles dujaponQuelle est votre histoire personnelle avec le Japon? Comment êtes-vous entré, vous, dans cette culture?

J’y suis entré en deux temps. Depuis mon plus jeune âge, j’ai été un consommateur de dessins animés japonais (génération Récré A2 et Club Do) puis de mangas, de jeux vidéo… En tant que journaliste spécialisé, je savais qu’il me faudrait aller au Japon un jour, et j’ai franchi le cap en 2007, en mode touriste absolu. L’an suivant, j’y retournais pour un voyage de presse très court (104 heures entre l’arrivée et le départ des vols), où je cumulais Tokyo Anime Fair le jour et concert de X Japan la nuit. C’était dense et très instructif.
En 2012, le gain inopiné d’une coquette somme m’a permis de planifier un gros voyage de trois semaines à travers le Japon, afin de réunir le maximum de documentation pour un livre que j’avais en tête. Après plus d’un an de préparation, de prises de contact, j’y suis parti en mars-avril 2014. Etait-ce la déformation professionnelle, à force d’interviews? J’ai développé la même curiosité pour tout ce qui m’entourait. Je demandais au patron d’un petit restau de ramen quel CD était en train de tourner sur sa platine, l’origine de la déco d’un bar, les grands noms de la mode dans une friperie de Harajuku…

[bt_quote style="default" width="0"]Etait-ce la déformation professionnelle, à force d’interviews? J’ai développé la même curiosité pour tout ce qui m’entourait. Je demandais au patron d’un petit restau de ramen quel CD était en train de tourner sur sa platine, l’origine de la déco d’un bar, les grands noms de la mode dans une friperie de Harajuku… [/bt_quote]

J’avais également prévu de longues plages de recherche d’ouvrages difficiles d’accès, et j’ai écumé les Book-Off et équivalents, boutiques de seconde main. On y trouve évidemment pléthore de mangas en neuf et surtout en occasion, mais encore plus de CD, à des prix parfois dérisoires, 250 yens (2 euros), voire 100 yens (80 centimes). J’ai donc profité de l’occasion pour investir dans quelques best-of ou vieux albums, un DVD ici ou là… De fil en aiguille, en les écoutant chez moi, j’ai cherché à en savoir plus, et Internet est un formidable outil de défrichage.
Durant le voyage de 2014, le responsable d’un magazine m’avait rejoint l’espace de dix jours, et depuis, prévoit un séjour chaque année au Japon aux environs du festival AnimeJapan. Notre emploi du temps étant fixé par nos rendez-vous professionnels, nous dînons au petit bonheur la chance dans Tokyo, à proximité du lieu de la dernière interview. En 2015, donc,  j’ai réalisé à quel point cette culture populaire aidait, bien plus que la maîtrise du japonais (que je bredouille à peine) à créer des liens. Fredonner un air de Momoe Yamaguchi m’a valu une tournée du patron, deux salarymen m’ont mimé un gag de The Drifters, une famille a vivement débattu sur quel était le meilleur des 48 films de Tora-san… A cette même période se déroulait le championnat du monde de patinage artistique, sport que le Japon vénère, et j’ai découvert la Yuzuru-mania.
Enfin, et je pense que le cadre spécifique de mes voyages (chaque année, à la même date, dans un cadre professionnel limité à Tokyo) m’y immerge obligatoirement à travers la publicité omniprésente. Ecrans géants, métros débordant d’affichettes, spots TV… Au Japon, il n’y a aucune honte pour une star à tourner dans une publicité, au contraire ! Représenter une marque signifie être populaire. On peut même estimer la cote d’une star à son nombre de contrats publicitaires. Maki Horikita, Kimutaku, Tamori, Matsuko Deluxe, Mao Asada, ils sont PARTOUT ! D’une année à l’autre, on distingue les starlettes éphémères des piliers de la culture nippone.

[bt_quote style="default" width="0"]Je pense que le cadre spécifique de mes voyages (chaque année, à la même date, dans un cadre professionnel limité à Tokyo) m’y immerge obligatoirement à travers la publicité omniprésente. Ecrans géants, métros débordant d’affichettes, spots TV… Au Japon, il n’y a aucune honte pour une star à tourner dans une publicité, au contraire ! Représenter une marque signifie être populaire. On peut même estimer la cote d’une star à son nombre de contrats publicitaires. [/bt_quote]

Si vous deviez mettre en lumière trois de ces étoiles que vous citez, lesquelles seraient-ce et pourquoi?
Tetsuko Kuroyanagi, animatrice TV de plus de 80 ans, dont l’émission quotidienne, un entretien d’une heure avec un invité différent, a plus de dix mille épisodes. « Si on n’est pas passé dans son émission, « Le Salon de Setsuko », on n’est pas considéré comme une star au Japon », m’a confié une expatriée. Mi-Anne Sinclair, mi-Pierre Tchernia, elle est également une ambassadrice de l’UNICEF et marraine de la WWF nippone, deux causes auxquelles elle consacre des segments réguliers dans son show regardé depuis quarante ans.
Ichirô, le plus grand joueur de baseball de l’histoire au Japon et aux USA. De manière indiscutable. Tout le monde le connaît dans les deux pays, il est encore plus populaire que Zidane en France.
Momoe Yamaguchi, qui s’est retirée de la scène publique en pleine gloire. Si l’on occulte le fait qu’elle soit toujours en vie, on peut la comparer à Claude François. Son retrait subit a traumatisé tout un pays, et aujourd’hui, quel que soit son âge, chaque Japonais connaît une chanson de « Momoe » tout comme chaque Français connaît au moins un air de « Cloclo ».

JapanCes 108 étoiles du Japon récapitule aussi des stars du sport. Vous ne citez qu'un seul sumo : êtes-vous donc là très représentatif de l'appétence des japonais pour l'un ou l'autre sport?
Le sumo est un cas un peu particulier. C’est le sport japonais par définition, car inventé au Japon. Appliquons-nous la même question : quel sport a été inventé en France ? L’escrime, le cyclisme, le dressage équestre peut-être… Quel est le sport national ? Le football. Le phénomène est équivalent au Japon : leur sport national est le baseball.
Ne nous y trompons pas ! Le sumo reste populaire, et l’une des meilleures audiences de la NHK, mais passionne nettement moins les foules. Il y a de plus en plus de lutteurs d’origine étrangère (kazakh, mongol…) à remporter les tournois, ce qui ne va pas dans le sens de mon livre. Taihô était incontournable, ne pas parler de sumo aurait été illogique, cette page était donc totalement méritée.
Pour revenir à votre question, oui, le nombre de pages alloué à chaque sport reflète, en général, sa popularité. Trois joueurs de baseball, trois footballeurs aux parcours différents qui reflètent la progression de ce sport au Japon, deux golfeurs, deux patineurs artistiques… Quant aux autres (tennis, gymnastique, lutte…), ils impressionnent par leur palmarès et sont attendus de pied ferme aux J.O. Ils risquent de voir augmenter leur nombre de contrats publicitaires.

Ce sont 108 étoiles qui ont forgé la culture populaire du Japon moderne...vous êtes allés piocher dans de nombreux siècles passés; on sait que choisir, c'est renoncer. Qui n'avez-vous pas cité, par exemple, et que vous auriez aimé tout de même voir figurer?
Sur les 108 étoiles, seules 15 apparaissent avant le 20e siècle. L’objectif était de citer des personnalités connues de tous, les grands classiques incontournables de l’éducation scolaire étaient inévitables. Et là encore, il suffit de se renvoyer le questionnement : est-il possible de parler de la culture populaire française sans évoquer Molière, Pasteur ou Rodin ?
La méthodologie suivie a évité des renoncements douloureux. J’avais établi une première liste de 108 noms. Je l’ai fournie à des amis, vivant au Japon ou expatriés, qui l’ont parfois fait tourner autour de certains proches. Leur mission était de valider mes choix, ou de les infirmer, auquel cas il fallait m’indiquer par qui les remplacer, selon eux. La liste a été chamboulée de moitié.
Hibari Misora, chanteuse décédée en 1989, est toujours une légende pour les plus âgés, mais peu connues chez les plus jeunes. Ishiro Honda est moins célèbre que sa créature, Godzilla. Ryuichi Sakamoto est considéré comme trop « arty » par beaucoup, qui ne pourraient que fredonner l’air de Furyo, rien de plus. Toutes ces propositions ont été remplacées, par exemple. La seule qui m’ait vraiment fait de la peine était Meiko Kaji, héroïne de La femme scorpion au regard intense, mais j’ai préféré écouter la rationalité de mes collaborateurs plus que mon intuition. Mais dresser cette première liste m’a quand même contraint à des sacrifices. Je suis un fan absolu de Ringo Shiina, mais elle est apparue en même temps qu’Ayumi Hamasaki et Hikaru Utada, qui vendaient bien plus qu’elle. Comme je devais couvrir un large spectre, je ne pouvais pas la rajouter. Les travaux de l’anthropologue Kinji Imanishi sont également passionnants, mais vraiment trop peu connus pour y figurer.

Les 108 étoiles du Japon
Auteur : Matthieu Pinon
Editions : Ynnis
Parution :  6 avril 2016
Prix : 16,99€


Histoires du manga moderne 1952-2012
Auteur :  Matthieu Pinon & Laurent Lefebvre
Editions : Ynnis
Parution :  15 avril 2015

Le programme de la JAPAN EXPO 2016

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