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Orphée : un amour d’enfer

  • Écrit par : Christian Kazandjian

Et parfois....Et parfois le hasard fait que les plumes de deux de nos chroniqueurs donnent leur avis sur un même spectacle...Pour Orphée, mis en scène par César Duminil, nous vous proposons ainsi deux avis, et tous deux fort enthousiastes! Bravo à la Compagnie du Premier Homme!

Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ En revisitant le mythe d’Orphée, Jean Cocteau nous emmène dans son univers de cauchemars, de rêves, de poésie.
Orphée, Eurydice, l’amour plus fort que la mort : l’histoire a traversé les siècles. Jean Cocteau entreprend en 1925 de revisiter le mythe. Le poète, au faîte de la gloire, délaisse sa compagne, trop occupé à revivifier son art à l’écoute d’un destrier doué de parole. Cependant ses ennemies, les Bacchantes complotent et Eurydice meurt. La voici expédiée en enfer. Orphée, découvre l’immense amour qu’il lui voue, au-delà des scènes de ménage, et sur les conseils de Heurtebise, ange déguisé en vitrier, se rend aux enfers pour récupérer sa bien-aimée. Au royaume des ombres il conclut un pacte : il ramènera Eurydice sur terre, mais jamais plus il ne pourra la regarder, sous peine de la voir disparaître définitivement.
D’une péripétie l’autre, Cocteau a composé une manière de farce avec un cheval-poète, le personnage de la mort attifée comme une vedette de music-hall, une tête décapitée qui répond aux questions d’un couple de flics un peu largués. On l’aura compris : l’auteur a déconstruit le mythe dans le cadre d’un théâtre qu’il souhaitait dépoussiérer (il fait dire à Orphée : « il faut mettre des bombes Â» dans le monde de la poésie). Cependant, loin d’en faire une pochade, Cocteau a projeté dans le personnage du poète ses propres doutes et angoisses, au premier plan desquelles figure celle de la mort, qu’il dissout à l’époque dans les volutes de l’opium. Dans son film Le testament d’Orphée, il joue même le rôle titre. Pour exorciser ses peurs, il adopte le ton de la comédie, du burlesque et du merveilleux. Mais la question qui le turlupine demeure : la mort n’est-elle pas une farce en définitive et les humains ne sont-ils pas condamnés à vivre éternellement ?
La mise en scène et la direction d’acteurs de César Duminil, qui joue Orphée, embrasse parfaitement les intentions de Cocteau en matière d’inventivité et d’humour grinçant : l’ange Heurtebise lévite à un mètre du sol, la mort et ses acolytes traversent les miroirs, ces « portes par lesquelles la Mort va et vient Â». Les visages le décor, les costumes blancs à l’exception des quelques éléments provenant ou ouvrant vers l’extérieur, cette impression d’univers clinique sont autant de mises en condition pour l’ultime voyage sans retour (sauf pour les héros de la pièce), tout comme les cernes bruns pathologiques sous les yeux des protagonistes. Et l’allée de lumière qui jaillit hors du miroir serait cette voie lumineuse qu’on entreverrait au moment de mourir (enfin, c’est ce qui se dit, sans témoin à qui se fier). Un spectacle, sur l’inexorabilité du temps qui passe, de l’usure des sentiments, mais qui reste malgré tout plein d’optimisme, de poésie, et conclut par un « happy end Â». Mais en est-ce vraiment un ? Une belle réussite pour cette première production de la Compagnie du Premier homme.

 

orphéePar Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Jean Cocteau voulait « recoudre la peau de la vieille tragédie grecque pour la mettre au rythme de notre époque Â». La troupe qui monte cette version moderne et innovante d’Orphée a fait plus que répondre au souhait de son auteur : elle l’a sublimé.

Plonger dans cette nouvelle version, c’est avant tout rentrer dans un univers poétique et fantaisiste : celui du poète Orphée et de sa compagne Eurydice, couple qui se déchire. Ils se disputent à propos d’un cheval qui a un jour suivi Orphée et qui est devenu la seule source d’inspiration du poète. Il dicte, en frappant du sabot, une phrase « Madame Eurydice reviendra de l’enfer » qu’Orphée recueille et inclut dans ses Å“uvres. Le poète en vogue est devenu incompris, en panne de créativité et voit uniquement par le prisme de son cheval pour créer ; au grand dam d’Eurydice, rejetée, bafouée et qui vit mal ne plus être regardée par son époux.

Cette scène de ménage, point de départ de l’intrigue, reflète assez bien l’univers surréaliste de cette pièce : la poésie comme quête d’évasion et de beauté, la crise existentielle et la recherche intérieure de l’inspiration, la dualité de l’artiste, le cheval comme messager de vie et donc de renouveau créatif.

Orphée, malgré tout amoureux, est jaloux du passage quotidien d’Heurtebise : vitrier qui, chaque jour, vient remplacer une vitre cassée et dont les vitres dans le dos symbolisent les ailes de l’ange protecteur qu’il sera pour le couple. Après la mort d’Eurydice, empoisonnée par Aglaonice reine des Bacchantes qui refusait son mariage, il sera celui qui conseillera à Orphée d’aller rechercher sa belle dans les bras de la Mort. Ce dernier reviendra aux bras d’Eurydice avec une contrainte : ne plus la regarder dans les yeux sinon elle disparaît à jamais. Et l’impossible se produisit…

Cette tragédie reprend des codes contemporains en intégrant des effets burlesques (l’arrivée de la Mort et de ses deux assistants chirurgiens) et magiques (traversée d’un miroir, lévitation) pour apporter humour et rire à ce drame. La mise en scène, décalée et soignée, renforce la beauté et la finesse du texte, riche en poésie. Le jeu des acteurs est précis, juste et avec un grand travail de rythme et de précision pour faire vivre les effets.

Le code scénique est le blanc : un décor en imitation de carton peint dont les acteurs déplacent les portes pour leurs entrées. Des voilages bleus symbolisent les miroirs par lesquels la vie et la mort se côtoient, où les acteurs passent du monde visible à l’invisible (« les miroirs sont les portes par lesquelles la Mort va et vient Â»). Un écran vidéo diffuse les images du cheval et ancre la scénographie dans le monde actuel.

Cette farce moderne marque la chute d’un être désorienté en perte de repères et d’idéaux qui ne sait pas comment se réaliser et cherche une nouvelle inspiration : une quête de sens terriblement d’actualité. Elle nous emmène sur des chemins poétiques où le temps se suspend et dont on ne sait plus à la fin s’ils sont rêve ou réalité.

Cocteau s’amuse à se jouer de la descente aux enfers et de la tragédie des destinées humaines à travers ce poète qui part à la recherche de sa vocation. Il déforme le mythe antique en le transposant dans son mode et dans sa propre jeunesse pour évoquer sa vie et ses propres souffrances : la dépression (l’artiste en mal d’inspiration), la drogue (les visions) et sa conversion au catholicisme (les références mystiques et la présence de la Mort)
Comme si sa propre crise existentielle était une farce et un pied de nez à la mort, ou plutôt à la panne d’inspiration qui guette pour créer une œuvre éternelle...

Orphée de Jean Cocteau
Mise en scène : César Duminil
Avec Joséphine Thoby, César Duminil, Jérémie Chanas, Ugo Pacitto, Yacine Benyacoub, William Lottiaux

Dates et lieux des représentations: 
- Jusqu'au 24 mars 2019 au Théâtre du Lucernaire Paris 6e, tél : 01.45.44.57.34.


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