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Antigone 82 : l’art vecteur de paix ?

  • Écrit par : Victor Waque

Antigone 82Par Victor Waqué - Lagrandeparade.com/ Du 10 janvier au 3 février 2019, le théâtre « L’épée de bois » a accueilli « Antigone 82 ». Pendant la guerre du Liban un metteur en scène français se prépare à jouer Antigone sur la ligne de front, pour permettre un moment de paix aux communautés en guerre. Mais rien ne se passe comme il l’ambitionne. Un spectacle captivant par le scénario, la mise en scène et la qualité des comédiens.

Avant de parler plus en avant de « Antigone 82 », prenons un petit détour pour découvrir le théâtre et son environnement. « L’épée de bois » est un cocon chaleureux où les rideaux rouges co-habitent avec une structure de bois verni. Avec ses tables où l’on peut boire un verre ou se sustenter, on s’y sent rapidement comme chez soi. Entouré de trois autres théâtres tout aussi accueillants, chaque vieille bâtisse transpire d’un charme ancien. Le grand étendu qui les encercle est paisible ; des arbres en lisière de la forêt de Vincennes. Ce parc se nomme « La cartoucherie ». Nous vous conseillons vivement - si vous ne connaissiez pas encore le lieu!!! -  d’y aller pour flâner, observer le centre équestre qui le jouxte, jeter un œil aux deux centres de formation des arts vivants.

En 1975 débute une guerre civile au Liban longue de 15 années. Une dizaine de milices s’affrontent, chacune représentant un territoire, un dogme, une culture et une religion. La violence est omniprésente. Des forces militaires étrangères interviennent pour tenter de coaguler la guerre. En France, un metteur en scène qui suit de prêt l’affrontement souhaite jouer Antigone au cœur de la zone de conflit. En donnant un rôle à chaque religion il cherche à instaurer un moment pacifique entre les communautés. Pour que l’art devienne un vecteur de paix. Un ami du metteur en scène se rend sur place pour contacter des membres de chaque communauté. Trouver un lieu de représentation. Leur faire répéter la pièce. Un chemin semé d’embûches qui métamorphosera tous ceux qui y participeront.

Les libanais qui acceptent de jouer dans la pièce sont d’abord méfiants, sombres, et sur la réserve. Puis la magie du théâtre opère. Les personnages ennemis se retrouvent à rire ensemble. A se découvrir. Une trêve de courte durée. Car la guerre est toujours là. Une nouvelle offensive rejoue toutes les cartes. Des proches meurent. Les comédiens redeviennent des ennemis. Complètement ? Ce spectacle illustre l’impact du théâtre sur la rencontre entre des hommes et des femmes. Dans le même temps il souligne la naïveté de croire que l’art prendra le dessus sur la violence. A-t-il sa place dans un lieu où l’on donne la mort ?

D’autre part, la pièce questionne l’impact de la guerre sur le cœur des hommes. Ceux en première ligne. Ceux qui vivent à l’arrière. Ceux qui ne font que passer, à l’instar de l’ami du metteur en scène. Lorsqu’il revient en France, il ne peut s’empêcher de ressasser ses souvenirs du Liban. De penser à ses amis qui souffrent. Lui est dans un pays en paix, alors qu’à quelques milliers de kilomètres de là, les affrontements continuent. La question est posée. Comment appréhender les conflits et les souffrances d’autres parties du globe ? Faut-il s’engager aux risques de perdre foi en l’humanité et goût à la vie ? Faut-il faire fermer les yeux et laisser le conflit aux mains de ceux qui le subissent ?

C’est une des grandes forces de ce spectacle que de poser des questions importantes. Elles sont nombreuses. Notre gentil personnage français est parti pour défendre la paix. Le respect. Les valeurs des Lumières. Mais la guerre se déploie devant ses yeux. Les atrocités s’accumulent et sa perception se métamorphose. La haine s’inscrit sur ses iris. Il ne voit plus seulement des Homme. Il voit des meurtriers. Qui tuent des innocents. A son tour, la tentation va être grande de se venger. A l’instar de l’expérience de Milgram, le spectacle nous montre que la violence peut toujours émerger même du plus doux des hommes... Dans un contexte de guerre, rien de plus facile. Un bel exemple de la difficulté de lutter contre la guerre par la non-violence.

Spectacle tiré de l’ouvrage « Le quatrième mur » du brillant écrivain Sorj Chalandon, le metteur en scène Jean-Paul Wenzel a voulu, comme dans le roman, jouer sur cette notion de quatrième mur : le plan vertical qui sépare la scène de la salle. Symbolique de deux mondes à part, les deux auteurs ont voulu faire entrer le spectateur dans le monde de la fiction. Les spectateurs sont placés sur trois côtés de la scène au lieu du placement frontal classique. Les comédiens sont assis sur les strapontins. Le spectateur fait parti du spectacle et le spectacle entre dans le réel.
Les comédiens sont justes et sincères, ils nous transportent. L’utilisation de l’arabe et de la musique nous immerge en plein cœur du Liban.

« Antigone 82 » est un superbe spectacle. Nombreuses sont les raisons pour aller le voir. Pour la qualité des comédiens. Pour le dynamisme de l’histoire. Pour réfléchir ensemble.

Antigone 82
D'après le Quatrième Mur de Sorj Chalandon
Adaptation : Arlette Namiand
Mise en scène : Jean Paul Wenzel
Jeu : Pierre Devérines, Pierre Giafferi, Pauline Belle, Hammou Graïa, Hassan Abd Alrahman, Nathan Gabily, Lou Wenzel, Fadila Belkebla, Jérémy Oury

Dates et lieux des représentations: 
- Du 10 Janvier au 3 février 2019 au Théâtre de l'Épée de Bois – Cartoucherie, Paris 12ème ( Du Jeudi au Samedi 20H30 , Samedi et Dimanche 16H)


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